« Ne vous occupez donc plus de ces gens et laissez-les aller ! Si c’est des hommes en effet que vient leur résolution ou leur entreprise, elle disparaîtra d’elle-même ; si c’est de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître. » Gamaliel, Gamaliel ! Quelle sagesse pouvons-nous trouver dans tes mots qui, adressés aux sadducéens, peuvent tout de même nous faire réfléchir.
Certains ou certaines d’entre-vous qui connaissez les profondeurs administratives d’une paroisse comme la nôtre savent ce qui s’en vient avec l’été. Bien entendu, nous sommes dans la suite de Pâques, dans la joie de la résurrection de Jésus. Et pourtant, au même instant, vient le moment des demandes de subventions et de leurs formulaires. Devant les adeptes de la croissance, Saint-Pierre est appelé à vendre sa salade. Je n’ai pas à vous le dire, la résurrection de Jésus peut laisser place à un sentiment de panique. Il faut sortir les chiffres pour prouver nos rendements… et confesser nos faillites. Déjà, cet exercice ne sonne-t-il pas épuisant ?
Heureusement, malgré sa propension à étaler les gros chiffres, le livre des Actes des apôtres nous rend le témoignage d’une « culture pastorale » qui donne des fruits inattendus. On peut s’en faire une idée à la lecture des Actes où on évoque sans cesse les foules qui professent le nom de Jésus. Inspirés par l’Esprit saint, rien ne semble arrêter les apôtres qui témoignent à tout va… Pas même, cela dit, les ennuis encourus. La récolte, semble-t-il, est tellement au rendez-vous et les conversions si nombreuses que le parti des sadducéens ordonne l’arrestation des apôtres.
Si on se met un instant à la place des sadducéens, on peut comprendre l’inquiétude vis-à-vis de cette espèce foisonnante – si ce n’est pas pour dire envahissante – qui a été semée par le témoignage des disciples de Jésus. La croissance exponentielle de cette réforme qu’est le christianisme pouvait faire peur sur le coup. Se voir perdre en termes de nombre au profit des autres, ça ne fait pas du bien. Ça peut même créer un vent de panique. Vous pouvez être sûrs que, s’ils avaient accès à des bourses comme nous, les sadducéens vendraient leur salade pour compétitionner, coûte que coûte. En perte de vitesse, ils seraient probablement aussi tentés par l’instantané.
Nos communautés traversent une drôle de saison, à mi-chemin entre l’hiver et le printemps. C’est un fait que personne ne peut nier. Le renouvellement de nos listes de membres nous semble limité, la relève pastorale pas toujours au rendez-vous. La fatigue s’accumule, la tentation de l’instantané est de plus en plus vive. Administrativement parlant, on enchaîne dans l’Église les étapes d’un plan de croissance en toute urgence. Il faut que les chiffres se multiplient, que les statistiques rayonnent pour contrer la « lenteur ». De grâce, ne donnons pas signe de mort ou de faiblesse !
Pourtant, malgré ces temps troubles, on peut être surpris par des évènements, des signes inattendus. Ceux et celles qui lurent l’infolettre savent que j’ai fait référence à un évènement complètement inattendu cette année en France. Alors que l’Église semble s’essouffler et perdre de sa parure, voici que pas moins de 10 000 adultes ont demandé le baptême à Pâques. C’est une augmentation de pas moins de 45% comparativement à l’année passée. Le chiffre en soi en jette plein les yeux. Les adeptes de la croissance seront ravis, les coeurs inquiets, soulagés. Mais… qu’est-ce que ça vient confirmer, au juste, au niveau de la volonté de Dieu ?
Voyez-vous, dans les Actes, les sadducéens s’alarment du grand nombre de disciples qui adhèrent au témoignage des apôtres. Ils sont bien sûr en réaction à la popularité de la Bonne nouvelle et les gros chiffres. Et pourtant, au milieu d’eux, une voix se lève : « Ne vous occupez donc plus de ces gens et laissez-les aller ! Si c’est des hommes en effet que vient leur résolution ou leur entreprise, elle disparaîtra d’elle-même ; si c’est de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître. »
Gamaliel, dont l’histoire a retenu la sagesse et la théologie libérale, rebute l’inquiétude des sadducéens tout en tempérant, au passage, l’élan forcené des adeptes de la croissance. À ceux et celles qui comptent sur le grand nombre pour discerner la vie ou la mort, celui qui a été le maître de Saül de Tarse rappelle toute l’importance de lire prudemment entre les lignes pour discerner l’oeuvre de Dieu. Il importe de ne pas nous fier à un élan de popularité pour juger d’un évènement. Gamaliel, dans une sagesse qu’on pourrait entendre à Saint-Pierre, rappelle aux sadducéens l’oeuvre de Thadeus et Judas qui ont été deux célébrités de leur époque. Ces deux-là en ont mis plein la vue avec la popularité de leurs œuvres. Et pourtant, aucune d’entre elles n’est restée. Thadeus et Joseph sont morts et leurs aspirations n’ont pas survécu au passage du temps.
Pour en revenir à l’Église de France tout en gardant en tête la parole de Gamaliel, je vous avoue que ce n’est pas 10 000 catéchumènes en soi qui fait l’Église de demain. Ce dont on peut comprendre de ces gros chiffres reste limité et seul le temps révélera l’oeuvre de Dieu.
Cette sagesse nous impose toutefois une question essentielle pour nous, aujourd’hui, qui oeuvrons avec peine : quel est l’objectif, au juste, de notre ministère ? Désirons-nous multiplier les chiffres coûte que coûte, au risque d’être une simple vague qui s’estompe au fond de l’océan ou bien désirons-nous un ministère qui refuse de se plier à ces exigences de la popularité, risquant, par notre lenteur, de passer à côté de l’occasion ?
Si on s’inspire de la sagesse de Gamaliel ainsi que l’oeuvre des apôtres, on pourrait dire que, en fait, notre ministère devrait plutôt viser un équilibre entre les deux pôles. Tout en sachant que rien n’est éternel, il importe de manifester sa foi et d’en témoigner efficacement, et ce, pour que nos semences donnent des plants qui persistent dans le temps. En d’autres termes, un arbre ne se juge pas que par le nombre de fruits qu’il porte, mais par la qualité de ses fruits et de sa longévité à travers les saisons de la vie.
En voyant nos défis et les signes des temps qui sont bel et bien les nôtres, il semble que l’Esprit nous invite à réfléchir à notre méthodologie. Comment pouvons-nous rendre témoignage de notre foi de manière explicite tout en ayant à l’esprit le renouvellement de l’Église ? L’exemple des 10 000 catéchumènes en France nous démontre que la réception de l’Évangile est bel et bien possible et que nos témoignages sont tout à fait audibles à une nouvelle génération de croyants et croyantes. Quelque part, les signes de la résurrection sont là ; l’Esprit saint a soufflé et c’est à nous, maintenant, de prendre la parole comme le firent jadis Marie de Magdala et les apôtres.
Ne perdons pas notre confiance en la force de notre témoignage et des effets qu’il peut engendrer dans ce monde toujours nouveau. Continuons à oeuvrer, mais tout en soignant notre ministère. Ce que Dieu aime, à en lire les Écritures, ce sont les œuvres qui, réfléchies et préparées de manière stratégique, lui rendent gloire à long terme.
En ce jour où la résurrection se prolonge par nos témoignages, que le Seigneur ouvre les portes de notre esprit. Qu’il insuffle un vent d’audace parmi nous comme au temps des apôtres qui semèrent avec patience… pour que nous récoltions encore aujourd’hui les fruits de leur labeur.
Qu’il en soit ainsi selon notre foi.
Amen
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