N’ayez pas peur

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Photo : Samer Daboul, sur pexels.com

On ne dira jamais assez le rôle capital qu’a joué Jean le Baptiste dans la vie de Jésus. Il a été son maître. On dirait aujourd’hui son mentor. Il a joué pour lui le rôle de bougie d’allumage. Il a été sa rampe de lancement. L’étincelle initiale qui était devenue un feu intérieur, c’est lui qui l’avait provoquée.

Rien d’étonnant à ce que Jésus ait parlé de lui comme il n’a parlé de personne d’autre : « En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste » (Matthieu 11 11).

Jean le Baptiste, auquel l’Église catholique a associé notre nation, était un marginal qui avait inscrit sa vie dans la lignée des grands prophètes de la Bible. Comme eux, comme Jérémie dont nous avons entendu la plainte et la prière, Jean le Baptiste a tenu un discours moral courageux. Il a dénoncé vertement le fossé entre les convictions et la pratique religieuse dominantes et le contexte d’injustice dans lequel vivait la population juive. Jean le Baptiste n’a eu peur de personne, même pas du roi Hérode Antipas dont il a osé dénoncer publiquement l’inconduite sexuelle. Et l’homme qui n’avait pas peur faisait peur, comme nous le disent les évangélistes : Hérode craignait la foule, on dirait aujourd’hui  l’opinion publique, en raison de l’immense popularité de Jean le Baptiste qui le rendait presque intouchable.

Les puissants, les tyrans, redoutent ceux et celles qui, comme le dit Jésus, ne craignent pas « ceux qui tuent le corps mais ne peuvent pas tuer l’âme ». Ils les craignent et cherchent à les réduire au silence.

Comme son maître, Jésus n’a jamais été dominé par la peur. Nous savons comment il n’a pas eu peur des conséquences quand il enfreignait, s’il le fallait, les préceptes les plus sacrés selon l’interprétation rigoriste qu’on faisait de la loi, qu’il s’agisse du repos du sabbat ou des interdits concernant les personnes et les pratiques dites pures et impures. Jamais Jésus n’a reculé devant la controverse avec les théologiens et les prêtres, allant même parfois jusqu’à la provoquer.

Alors, comment nous surprendrions-nous qu’il nous invite, nous ses disciples, à ne pas être dominés par la peur? Dans le très court texte de Matthieu que nous venons d’entendre, il le fait pas moins de quatre fois . « Ne les craignez pas… Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme… Craignez plutôt celui qui peut faire périr âme et corps dans la géhenne… Soyez donc sans crainte. »

Tant de pages des évangiles nous révèlent que Jésus a vécu dans la certitude que Dieu veillait sur lui et qu’il veille sur chacun de nous. Dans le texte que nous méditons, il suggère que Dieu nous connaît parfaitement – c’est ce que recouvre l’expression « vos cheveux sont tous comptés ». Il nous suggère que nous sommes importants pour Dieu – c’est ce que recouvre l’expression « vous valez mieux, vous,que tous les moineaux ».

Tout comme Jean le Baptiste, Jésus avait une totale confiance en Dieu. Une confiance puisée et sans cesse renouvelée dans sa sa lecture et sa méditation des prophètes et des psaumes, comme le passage de Jérémie lu tout à l’heure ou ce début du psaume 27 : « Le Seigneur est ma lumière et mon sauveur, je n’ai rien à craindre de personne. Le Seigneur est le protecteur de ma vie, je n’ai rien à redouter. » (Livre des psaumes 27 1)

***

Les occasions de craindre ne manquent pas dans nos existences. Nous pourrions en quelques minutes dresser une liste impressionnante des réalités qui menacent notre santé, notre intégrité physique, notre environnement naturel, notre vie démocratique.

Comment donc devons-nous comprendre l’invitation de Jésus à ne pas avoir peur? La peur n’est-elle pas un réflexe sain et nécessaire? Ne provoque-t-elle pas en nous une précieuse  montée d’adrénaline qui nous permet de fuir le danger ou nous pousse à protéger notre vie et celle des gens que nous aimons?

En fait, Jésus sait que comme lui, ses disciples vont vivre dans un monde incertain et même dangereux.  Quelques lignes avant le texte que nous méditons ce matin, n’a-t-il pas dit : « Voici que moi je vous envoie comme des brebis au milieu des loups » (Matthieu 10 16)? Il me semble que si j’étais une brebis, je ne serais vraiment pas rassuré de me retrouver au milieu d’une meute de loups.

Aussi la véritable question, me semble-t-il, la question sous-jacente, pourrait-on dire, c’est : Qu’est-ce que je fais de ma peur? Ou peut-être davantage : Qu’est-ce que ma peur fait de moi?

Car il y la peur qui fait réagir, et la peur qui paralyse.

Une des formes que prend la peur qui paralyse, c’est le déni. Il est courant de nier l’existence de la menace; on l’a observé durant la pandémie ou face aux changements climatiques, comme l’a si bien illustré le film Déni cosmique, Dont’t Look Up. Ou encore, il est fréquent que l’on cherche à se rassurer en minimisant la menace : « ce n’est pas si grave, on trouvera bien une solution… »

Au contraire, d’autres personnes qui pensent n’avoir peur de rien sont téméraires et se lancent aveuglément dans la bataille comme si la menace n’existait pas, prenant des risques injustifiés, voire insensés. Ce n’est pas non plus ce que Jésus nous donne comme modèle. Ne lit-on pas dans l’évangile de Jean : sachant que les grands prêtres et les pharisiens avaient décidé de le faire périr, « Jésus ne circulait plus ouvertement à portée des autorités juives : il se retira dans la région proche du désert, dans une ville nommée Ephraïm, où il séjourna avec ses disciples »? (11 53-54)

L’attitude saine, me semble-t-il, n’est-elle pas d’affronter la menace en surmontant sa peur? La deuxième moitié du XXe siècle a été marquée par des témoins éclatants de cette attitude, comme Mahatma Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela. Mais on peut aussi penser à toutes ces personnes anonymes qui chaque année sauvent d’une noyade, d’un accident de la route, d’un incendie ou d’une attaque armée comme l’a fait récemment l’homme au sac à dos dans un parc d’Annecy. Tous ces gens étaient portés par un sens profond de la vie humaine, une brûlante exigence de justice, un lumineux oubli de soi.

Notre confession de foi nous incite à ne pas être timorés quand il s’agit du combat contre le mal, à la suite de Jésus et de Jean le Baptiste dans la recherche de la justice et la résistance au mal.

Voilà qui nous interpelle, moi le premier, à nous questionner sans cesse sur la qualité de nos engagements. Dans notre monde, nous faisons faces à toutes sortes de menaces et d’intimidation. Baisserons-nous les bras quand des industries polluantes menacent de se délocaliser ou de fermer si on veut leur imposer un contrôle? Quand des entreprises font du chantage contre ceux qui cherchent à obtenir une meilleure répartition de leurs profits, céderons-nous à la peur de la suppression des emplois? Si Facebook et d’autres entreprises numériques qui accumulent des fortunes menacent de ne plus diffuser l’information des grands médias si on les force à leur verser des redevances, nos gouvernants doivent-ils s’incliner piteusement?

Que ce soit dans notre vie collective ou dans nos vies personnelles, soyons, de manière peut-être modeste, mais bien réelle, de ceux et celles qui savent surmonter la peur. Nourrissons-nous, comme Jésus, de la foi du psalmiste. Inspirons-nous de la foi des prophètes comme Jérémie, Jean le Baptiste ou Ésaïe quand il proclame au nom de Dieu, au chapitre 43 :

«N’aie pas peur, je t’ai libéré, je t’ai engagé personnellement, tu m’appartiens.

Quand tu traverseras l’eau, je serai avec toi;

quand tu franchiras les fleuves, tu ne t’y noieras pas.

Quand tu passeras à travers le feu, tu ne t’y brûleras pas, les flammes ne t’atteindront pas.

Car moi, le Seigneur, je suis ton Dieu,

moi, l’unique vrai Dieu, le Dieu d’Israël,

je suis ton Sauveur.

C’est que tu as du prix à mes yeux,

tu comptes beaucoup pour moi

et je t’aime.

N’aie pas peur, je suis avec toi. » (43 1-3a).

Amen.

LECTURES BIBLIQUES

Jérémie 15, 15-21

Matthieu 10, 26-33

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