Trouver sa voie

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trouver sa voieIl existe, dans le vocabulaire chrétien, une expression selon laquelle le carême est « une montée vers Pâques ». Cette expression me fait toujours penser aux « chants des montées » qui sont regroupés aux numéros 120 à 134 du Livre des psaumes, quinze chants qui accompagnaient les pèlerins se rendant vers Jérusalem, le cœur géographique de la foi juive. Je sais que la réalité du pèlerinage n’est pas très présente dans la tradition protestante, mais j’aime bien cette image du déplacement physique qui évoque un déplacement spirituel.

Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits.

Je suis sensible à cette pratique où des gens réservent un temps hors du temps où toute leur vie s’unifie autour d’un seul but, qu’il s’agisse de la Terre Sainte, de Compostelle ou du Musée du désert. Comme en témoigne la pasteure suisse Catherine Salzborn Chenuz à son retour de Compostelle : « J’ai trouvé formidable d’appartenir à un peuple migrateur, un peuple en marche hors du monde habituel, d’être portée par ceux qui marchent devant et ceux qui sont derrière. Cette dimension à la fois collective et individuelle du chemin m’a bien convenu. » (Pélerinage)

Si l’image du pèlerinage vous convient au seuil de la montée vers Pâques 2016, alors oui, laissez-vous porter par elle et entrez dans cette grande caravane qui, partout dans le monde, se met en branle et qui, au cours des six prochaines semaines, va s’approcher de la croix et du tombeau de Jésus, le lieu du plus grand amour dont la portée est universelle et que nous célébrerons à Pâques.

Pour moi, cette année, « montée vers Pâques » me suggère plutôt une autre « montée », celle de Jésus vers Jérusalem, dans laquelle il entraîne ses disciples. Voici ce que Luc écrit, au chapitre 18 : « « Voici que nous montons à Jérusalem et que va s’accomplir tout ce que les prophètes ont écrit au sujet du Fils de l’homme. Car il sera livré aux païens, soumis aux moqueries, aux outrages, aux crachats; après l’avoir flagellé, ils le tueront et, le troisième jour, il ressuscitera. » Mais eux n’y comprirent rien. Cette parole leur demeurait cachée, et ils ne savaient pas ce que Jésus voulait dire. » (v. 31-34)

« Eux n’y comprirent rien ». Ça fait du bien de savoir que les plus proches disciples ne comprenaient pas. Qui d’entre nous peut se targuer de comprendre facilement quelque chose dans la fin tragique de Jésus qui n’est rien de moins qu’un rejet? « En lui était la vie, et la vie était la lumière des humains, et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas comprise. Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu dans son propre bien, et les siens ne l’ont pas accueilli » (Jean 1 4-5.10-11). « Pas compris… pas reconnu… pas accueilli ». Et pourtant, il « monte » vers sa Pâque.

Devant la croix, qu’y a-t-il à comprendre à ce rejet de la lumière par les ténèbres? Qui peut accepter sans se questionner le rejet de la vérité par le mensonge et l’illusion, et le triomphe apparent de la résistance à la grâce? Nous non plus, nous ne comprenons pas facilement cette liberté souveraine avec laquelle Jésus est monté vers Jérusalem vers l’accomplissement de tout ce que les prophètes ont écrit au sujet du Fils de l’homme.

Les quatre évangiles cherchent, chacun à leur manière, d’éclairer cette énigme. On a pu dire des quatre évangiles qu’ils sont le produit de la longue et patiente réflexion des premières communautés sur le sens de la fin honteuse de Jésus. Comment et pourquoi sa vie s’était-elle achevée de manière aussi ignominieuse?

Ce que les évangiles nous montrent, c’est que Jésus a été conduit à la mort infâme du condamné en raison de sa fidélité inébranlable à ses options. Et ces options, il les avait trouvées et maintenues dans la prière et la lecture des Écritures. C’est ce que Luc et Matthieu ont comme concentré dans la mise en scène soignée par laquelle ils ont décrit la mise à l’épreuve de Jésus au désert tout de suite après son baptême par Jean le baptiseur.

Le destin de Jésus n’était pas tracé d’avance. Normalement, son destin aurait été de faire carrière comme son père dans un obscur village de Galilée. Qu’est-ce qui a poussé le fils de Joseph et de Marie à faire plus de 100 kilomètres pour venir au Jourdain, nous ne le savons pas. Ce que nous savons, c’est que c’est là qu’il a trouvé sa voie.

Jésus est sorti du fleuve intensément habité par une voix qui lui disait : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » (Luc 3 22). Les mots que Luc a écrit au sujet des disciples qui ne comprenaient pas le sens de la montée vers Jérusalem, nous pouvons sûrement les reprendre au sujet de Jésus devant cette parole mystérieuse venue du ciel : « Mais lui n’y comprit rien. Cette parole lui demeurait cachée, et il ne savait pas ce que Dieu voulait dire. » Ce qu’affirmait la voix venue du ciel n’était que question pour Jésus.

Alors, loin de partir pour la gloire, comme on dit, il s’est retiré dans le désert voisin pour essayer de comprendre. Le récit des trois mises à l’épreuve que nous avons entendu il y a un instant concentre le lent travail de discernement qui a permis à Jésus de trouver sa voie. De se trouver dans sa vérité singulière. D’assumer son appel et sa mission, et d’y répondre avec confiance. D’y puiser aussi l’inspiration dont il aurait tellement besoin pour demeurer courageusement jusqu’à la fin intègre, libre et authentique.

Comment cela s’est-il réalisé? Personne ne suivait Jésus au désert avec une caméra vidéo. Le seul « comment » que Luc, comme Matthieu, nous fait connaître, c’est que c’est à la lumière de l’Écriture que Jésus a clarifié la voie qu’il devait suivre. « Il est écrit : ce n’est pas seulement de pain que l’être humain doit vivre ». « Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu dois adorer ». « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »

Au sortir du désert, Jésus avait fait ses choix. Il avait trouvé sa voie. Sa lecture de l’Écriture lui avait révélé que sa vérité d’homme, de Fils de l’homme, ne serait pas d’être servi, mais de servir (Luc 22 27). Jésus avait discerné que la présence et l’action de Dieu se rencontraient moins au temple qu’à la maison, moins à la synagogue que sur la rue, moins chez les prêtres que chez les gens simples, moins à Jérusalem qu’au désert, et autant chez les non Juifs que chez ses compatriotes. Il y a deux semaines (Médecin sans frontières) Denis nous rappelait comment, à Nazareth, parce qu’il avait trouvé sa voie, il a résisté à la tentation de « jouer au faiseur de prodiges, au magicien ». Et c’est pour avoir marché sur sa voie sans jamais dévier que Jésus, étant monté à Jérusalem, a été arrêté, bafoué, rejeté et mis à mort.

Qui d’entre nous n’a pas besoin de comprendre quelque chose d’essentiel dans sa vie, quel que soit son âge? Qui n’a pas à opérer un discernement à propos de sa vérité d’homme ou de femme? Qui d’entre nous n’a pas besoin d’un temps pour « monter à Jérusalem » comme et avec Jésus?

L’expérience et la sagesse de ceux et celles qui nous ont précédés sur nos chemins d’humanité comme sur le chemin de la foi nous enseignent que nous pourrons difficilement nous livrer à cette introspection profonde, ce discernement, cet examen, sans adopter pour les prochaines semaines une pratique, repérable sans intégrer à notre quotidien une habitude que nous adopterions pour six semaines. Jésus lui-même a eu besoin d’un espace et un temps extérieurs favorables pour accéder à l’espace intérieur où il puisse faire la vérité sur sa vie et trouver sa voie.

C’est ici que prennent place les pratiques traditionnelles du carême chrétien : le jeûne, la prière et l’aumône. On devrait y ajouter : la lecture spirituelle de l’Écriture. Naturellement, ces pratiques peuvent être facilement corrompues, détournées de leur sens profond. Par exemple, on peut les utiliser pour se faire subtilement valoir devant Dieu par des sacrifices et en accumulant des mérites, ce qui est, comme nous le disait Denis il y a deux semaines (Médecin sans frontières) « l’autosuffisance et l’orgueil religieux, qui ne sont en fait qu’une recherche de soi, de sa propre justice, de contrôler le divin, de posséder Dieu ». Le jeûne, la prière et l’aumône peuvent encore être corrompus quand on les utilise pour se faire valoir aux yeux des autres ou, ce qui est plus subtil, à ses propres yeux.

Dans son message inspirant pour le carême, que je vous invite à regarder sur le site de l’Église Unie (Message de carême 2016), la modératrice nous fait ce rappel bénéfique : « Le carême est une période d’introspection profonde qui nous amène à discerner ce qui doit mourir en nous afin de vivre pleinement. […] Le carême est un temps pour examiner notre vie en profondeur et avec honnêteté et pour déterminer ce que nous devons changer. »

Ce qui importe, en ce début de carême, c’est que chacun, chacune de nous décide de saisir de manière résolue et très concrète ce temps favorable dont parle saint Paul (2 Corinthiens 6 2). Que chacun, chacune de nous décide quel geste extérieur il ou elle posera, quelle pratique il ou elle adoptera pour se laisser conduire par l’Esprit, pendant quarante jours dans l’espace intérieur pour s’exposer aux vraies questions et vivre avec elles pour faire la vérité sur ce moment-ci sa vie.

Des questions comme celles que nous propose la modératrice dans son message de carême :

En quoi notre vie reflète-t-elle une tendance à accepter le statu quo qui nous éloigne de l’état de plénitude que Dieu nous offre?

De quelle façon nos attitudes et nos gestes nous freinent-ils?

Que faut-il laisser aller pour que l’amour de Dieu se manifeste librement à travers nous?

Que le carême revête pour nous le sens d’un pèlerinage ou celui d’une montée à Jérusalem avec Jésus, l’essentiel est qu’il nous remette en route sur notre propre voie. Quelle que soit l’image qui nous porte, que l’Esprit inspire chacun, chacune d’entre nous, qu’il éclaire notre lecture spirituelle de l’Écriture et nous accorde d’être les uns pour les autres un véritable soutien durant ce « temps favorable ». Amen.

Par Paul-André Giguère

 

LECTURE BIBLIQUES

2 Corinthiens 5 11 – 6 2

Luc 4 1-13

Paul-André plus petit

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