La Saint-Valentin de Dieu

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

Gérald DoréCe dimanche d’aujourd’hui est un jour très chargé du point de vue des significations. Il est le premier de cette période que les Églises chrétiennes appellent le « carême », d’un mot dérivé du latin qui veut dire quarantième, c’est-à-dire quarantième (jour) avant Pâques, la plus importante des fêtes chrétiennes, celle sur laquelle se fonde notre foi en Jésus comme Christ et Seigneur toujours vivant. Cette période de quarante jours, en fait quarante-deux, si on compte à partir d’aujourd’hui jusqu’à Pâques, le 27 mars, est un rappel des quarante ans de vie nomade du peuple d’Israël dans le désert du Sinaï et des quarante jours de retraite de Jésus au désert, avant le début de son ministère public. En même temps, ce dimanche est pour nous, ici à Pinguet, celui de la Passion, puisque notre prochain culte sera celui de Pâques et que la Passion est le chemin par où il faut passer avec Jésus pour arriver à Pâques avec lui. Comme si ce n’était pas assez, il se trouve que ce dimanche de culte tombe le jour dit de la  Saint-Valentin , ce jour que la société civile célèbre comme la fête des amoureux.

Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits.

Oublions saint Valentin, puisque même l’Église romaine qui pratique le culte « des saints » a enlevé son nom de son calendrier officiel, en raison du côté légendaire attaché à ce nom. N’oublions pas pour autant la Saint-Valentin, cette fête de l’amour qui est célébrée partout aujourd’hui et profitons-en pour nous rappeler la place de l’amour dans les sources bibliques qui nourrissent notre démarche spirituelle. Pour faire image, et simplement pour faire le lien avec la fête profane d’aujourd’hui, j’appellerai notre réflexion « la Saint-Valentin de Dieu ». Dans la Bible, en effet, l’amour est présent sous toutes ses formes, à la fois sous la forme de l’attirance à soi de quelqu’un avec qui partager son intimité et à la fois sous la forme d’une sortie de soi vers l’autre en tant que prochain à qui faire du bien.

La passion amoureuse, dans toute sa complexité affective, sensuelle et sexuelle, y a sa place sans fausse pudeur. Aux temps bibliques, malgré des mœurs très différentes des nôtres, malgré une société où les mâles dominaient, où les mariages étaient arrangés et où la polygamie existait, le choc amoureux se produisait quand même. Un des livres de la Bible, le Cantique des cantiques, compte parmi les plus beaux poèmes d’amour de la littérature universelle. La comparaison de l’amour naissant à un « coup de foudre » nous vient de là (Ct 8, 6). L’amoureux y dit à son amoureuse « Que tu es belle ma compagne, que tu es belle! Tes yeux sont des colombes! » L’amoureuse lui répond : « Que tu es beau, mon chéri, combien gracieux! » (Ct 1, 15-16). Et les deux se disent bien d’autres choses, si intimes et sensuelles, que leur lecture à haute voix dans une église risquerait d’être perçue comme un manquement à la pudeur!

Une des très belles histoires d’amour de la Bible et de toute la littérature universelle est celle du coup de foudre de Jacob pour Rachel, au livre de la Genèse (Gn 29 et 30). Jacob est envoyé au loin par sa mère pour se trouver une épouse dans la famille. À peine arrivé sur place, une des premières personnes qu’il rencontre est la bergère Rachel, sa cousine, dont il tombe amoureux. L’entente avec le père de Rachel est qu’il travaille sept ans pour lui avant de pouvoir la marier. Jacob aimait tellement Rachel, nous dit le texte, que les sept ans « lui parurent quelques jours » (Gn 29, 20). Arrive le mariage. Le texte donne à penser que la mariée était voilée et que la nuit de noces a eu lieu à la noirceur, parce que ce n’est qu’au matin que Jacob se rend compte que ce n’est pas Rachel qu’il a mariée, mais Léa, sa sœur. Le père se justifie en disant que c’est la coutume de donner l’aînée en mariage avant la cadette. Il accepte de donner aussi Rachel en mariage à Jacob, à la condition qu’il travaille encore pour lui pendant sept autres années. C’est ainsi que Jacob devient l’époux de deux sœurs dont il aime l’une, Rachel, et s’accommode de l’autre, Léa.

Suivant la mentalité de l’époque, le texte ne nous dit pas si Rachel, elle, a eu un coup de foudre pour Jacob. Comme pour Léa, c’est le père qui a arrangé le mariage. Le texte nous dit, par ailleurs, que Léa est consciente qu’elle n’est pas aimée, mais espère s’attacher son mari par ses multiples grossesses (Gn 29, 31-32). La suite du récit nous rapporte les situations et les émotions vécues dans ce genre de ménage où les servantes des épouses ont aussi un rôle à jouer dans la procréation d’une famille nombreuse. Même si ce vécu conjugal est très différent de ce que nous connaissons aujourd’hui dans notre société, il nous est dévoilé, sans préjugés, avec ses hauts et ses bas, comme une des composantes naturelles de la condition humaine dans laquelle se vit le cheminement spirituel.

Au livre d’Osée, dont nous venons de lire un court extrait, nous avons une histoire d’amour encore plus compliquée et encore plus éloignée de la morale traditionnelle qui nous a été enseignée. Le livre débute par cette parole adressée par Dieu au prophète : « Va, prends-toi une femme se livrant à la prostitution et des enfants de prostitution car le pays ne fait que se prostituer en se détournant du Seigneur. » (Os 1, 2). Cette relation de couple dans laquelle Osée est appelé à la fidélité conjugale avec une femme infidèle est une situation de vie qui devient son message prophétique, en action autant qu’en parole. La dynamique du couple ainsi formé devient la figure de la fidélité du Seigneur à son alliance avec son peuple et de l’infidélité de celui-ci, quand il se tourne vers les idoles. Comme on pouvait s’y attendre, la relation entre Osée et Gomer, sa conjointe infidèle, est turbulente et chargée d’animosité. Malgré tout, l’amour patient et persévérant d’Osée prend le dessus et devient l’image de la tendresse indéfectible de Dieu pour Israël, par delà ses infidélités. Le langage humain de la relation de Dieu à son peuple est celui de la fidélité qui anime Osée dans sa relation de couple. La persévérante séduction amoureuse d’Osée devient une expression imagée de l’amour de Dieu pour Israël, représenté comme une épouse pour Dieu. C’est le passage que nous venons de lire : « Eh bien, c’est moi qui vais la séduire, je la conduirai au désert et je regagnerai sa confiance. (…) Et il adviendra en ce jour-là –oracle du Seigneur- que tu m’appelleras ‘mon mari’, et tu ne m’appelleras plus ‘mon baal, mon maître’. » (Os 2, 16 et 18). C’est là le langage d’un grand amoureux, le langage amoureux dont Osée découvre, dans son expérience de vie, qu’il est celui de Dieu.

Plusieurs siècles plus tard, dans la foulée du témoignage d’amour de Dieu pour l’humanité, tel que manifesté en Jésus Christ, la première lettre de Jean résume Dieu en trois mots, les trois mots que nous gardons bien en vue devant nous sur le mur de cette église : «Dieu est Amour » (1 Jn 4, 8). De même que c’est Osée qui est allé au devant d’une femme apparemment indigne, pour l’aimer, « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, dit encore la lettre de Jean, c’est lui qui nous a aimés… » (1 Jn 4, 10). En se manifestant parmi nous dans la personne, l’enseignement, l’exemple et l’Esprit de Jésus Christ, Dieu nous a montré jusqu’où peut aller cet amour, quand il est exposé aux contrariétés de la vie et aux méchancetés humaines. Jésus a voulu aimer l’humanité comme il était convaincu que Dieu l’aimait. « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés », dit-il à ses disciples dans le passage de l’évangile de Jean que nous avons lu (Jn 15, 9). Pour lui, l’amour altruiste va jusqu’au sacrifice de sa propre vie, quand les circonstances l’exigent. « Nul n’a d’amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime. » (Jn 15, 13). Dans cette phrase, l’amour de Jésus nous ouvre sur le chemin de sa Passion, non pas la passion amoureuse qui veut l’autre pour soi, mais la passion au sens de la souffrance assumée dans l’amour qui se donne pour l’autre. Dans le cas de Jésus, cet autre est l’humanité tout entière. À Pâques, Dieu nous confirmera qu’il a eu raison et qu’il est toujours vivant parmi nous par son Esprit, cet Esprit qui nous inspire d’aimer jusqu’au bout de nos capacités, dans les circonstances de vie qui sont les nôtres.

Dans la Bible, l’amour de Dieu pour nous ne boude pas l’amour humain, y compris dans ses coups de foudre et ses passions amoureuses. Il l’assume, au contraire, comme signe et sacrement de tout amour, en l’enrichissant d’une ouverture à l’autre reçu comme un prochain à aimer comme soi-même. Ainsi va la Saint-Valentin de Dieu. Amen.

Par Gérald Doré

Pasteur desservant

Église Unie Pinguet

Culte du dimanche 14 février 2016

 

LECTURES BIBLIQUES (TOB)

Osée 2, 21-22

1 Jean 4, 7-12

Jean 15, 9-13

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