La grâce excessive

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grace excessive image Nous le savons : au désert, après son baptême, il avait trouvé sa voie et, maintenant encore, il n’en déviait pas. Un peu plus loin dans le même évangile de Jean, il le dira clairement : « Je ne suis pas venu condamner le monde, je suis venu sauver le monde » (12 47). Il avait découvert l’Amour, et il ne servait que l’Amour.

C’était cela que ses adversaires détestaient le plus chez lui : ce flair qui lui permettait de déjouer de façon toujours inattendue les pièges qu’on lui tendait! Cette aisance avec laquelle il évitait de répondre clairement aux questions les plus directes. On le confrontait à la question de savoir s’il était permis de payer l’impôt à César? Il s’en tirait en disant : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Luc 20 25).

Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits.

On ridiculisait sa croyance en la résurrection des morts en lui objectant la femme qui avait eu sept maris? Il esquivait en disant : « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (Luc 20 38). On lui reprochait de ne pas inciter ses disciples à jeûner? Il faisait une pirouette en disant : « Peut-on faire jeûner les invités à la noce pendant que l’époux est avec eux? » (Luc 5 34) On le sommait de dire par quelle autorité il se comportait comme il le faisait? Il renvoyait la balle en répliquant : « Je vous répondrai si vous répondez à la question : Le baptême de Jean venait-il du ciel ou des hommes? » (Luc 20 24)

On n’arrivait pas à s’emparer de lui en le prenant en défaut. Il était l’insaisissable.

Ce matin-là encore, la mise en scène était parfaite pour le forcer à se compromettre. D’un côté, une femme supposément surprise en flagrant délit d’adultère, de l’autre, un commandement explicite, revêtu de la plus haute autorité, celle de Moïse puisqu’il est écrit noir sur blanc dans le Deutéronome : « Si l’on prend sur le fait un homme couchant avec une femme mariée, ils mourront tous les deux, l’homme qui a couché avec la femme et la femme elle-même. Tu ôteras le mal d’Israël » (22 22). Et, entre les deux, la question qui tue : « Toi, qu’en dis-tu? »

Eh bien, il n’en dit rien. Comme à son habitude, il semble se défiler. Il se baisse et se met à tracer des traits sur le sol. Il refuse de jouer à ce jeu-là. Comme s’il disait : « En quoi cela me concerne-t-il? C’est votre problème… » Alors ils insistent et lui, alors, se contente de se redresser et de dire, sur un ton laconique, « Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Et il s’incline à nouveau.

Nous le savons : au désert, après son baptême, il avait trouvé sa voie et, maintenant encore, il n’en déviait pas. Un peu plus loin dans le même évangile de Jean, il le dira clairement : « Je ne suis pas venu juger le monde, je suis venu sauver le monde » (12 47). Il avait découvert l’Amour, et il ne servait que l’Amour.

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Allons maintenant plus loin que la simple narration de cette nouvelle escarmouche entre Jésus et ses adversaires. Je vous propose de prendre comme point de départ un détail du récit auquel on prête peu souvent attention. Jean, qui avait campé la scène au temple en précisant que « tout le peuple » venait à Jésus (v.2), spécifie que la femme entraînée de force par les scribes et les Pharisiens avait été placée « au milieu du groupe » (v. 3). Cette précision reviendra à la fin du récit, après le départ des accusateurs de la femme : « La femme était toujours là, au milieu du cercle » (v.9).

La présence de la femme au centre de « tout le peuple » suggère que ce dont il est ici question n’est pas une affaire banale. C’est une affaire centrale. Comment donc?

Le texte du Deutéronome motivait ainsi la peine de mort : « Tu ôteras le mal d’Israël ». Voilà bien le genre de phrase qui était insupportable aux yeux de Jésus. Non pas qu’il n’ait pas fait de différence entre le bien et le mal, non pas que le combat contre le mal n’ait pas été important pour lui. Mais ce qu’il ne pouvait supporter, c’est l’état d’esprit de ceux et celles qui, s’estimant justes parce qu’ils s’efforçaient de respecter scrupuleusement la Loi, n’avaient que du mépris pour ceux qu’ils appelaient « les pécheurs ».

Rappelons-nous la parabole du champ infesté de mauvaise herbe. « Veux-tu que nous allions ramasser la mauvaise herbe? », demandent les serviteurs au propriétaire terrien? « Non, répond-il avec sagesse, de peur qu’en ramassant la mauvaise herbe, vous ne déraciniez le blé avec elle » (Matthieu 13 29). Rappelons-nous encore la parabole du pharisien et du publicain, où le premier étale devant Dieu sa supériorité morale et conclut en rendant grâce de n’être pas « comme ce collecteur d’impôts », alors que ce dernier, à distance, disait à Dieu « Prends pitié du pécheur que je suis », et comment Jésus avait conclu : « celui-ci redescendit chez lui justifié, et non l’autre » (Luc 18 11-14).

Pour reprendre les mots mêmes de Luc, Jésus ne pouvait supporter « certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient tous les autres » (18 9). C’était ceux qui, comme les accusateurs de la femme, sont prompts à voir la paille dans l’œil de l’autre sans même se rendre compte qu’il y a une poutre dans le leur (Luc 6 41-42). Jésus savait parfaitement combien l’autosatisfaction constitue un des plus grands pièges de la vie spirituelle.

Les Juifs étaient convaincus d’être spirituellement supérieurs aux autres puisque la révélation leur avait été adressée et l’alliance avait été conclue avec leurs ancêtres. Ils considéraient ces privilèges comme le fondement d’un droit au salut de Dieu. Un livre de la Bible a été écrit pour dénoncer cette prétention, c’est le Livre de Jonas. Il met en scène les pires païens, les habitants de Ninive, de vrais barbares, qui se convertissent tous après avoir entendu la parole prophétique de Jonas, et on peut lire : « Dieu vit leur réaction, aussi revint-il sur sa décision de leur faire le mal qu’il avait annoncé. Il ne le fit pas. » Le texte enchaîne alors immédiatement : « Jonas le prit mal. Très mal. (…) « Je savais bien que tu es un Dieu bon et miséricordieux, lent à la colère et plein de bienveillance »… » (Jonas 3 10 – 4 1-2) Quel dépit!

L’affaire est centrale. Jonas oubliait qu’il était traversé lui-même par la foi et la non foi, comme tout le livre le montre. Comme si le bon grain et la mauvaise herbe ne se retrouvaient pas dans le cœur de chacun de nous. Comme si les accusateurs de la femme adultère étaient empêchés de voir le péché dans leur propre conscience.

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Dans ce récit de la femme adultère, tous les ingrédients qui ont fait le protestantisme sont réunis : le péché, la Loi, la conversion, la grâce. Comme il nous est difficile d’entrer dans l’univers de la grâce pure, la grâce gratuite! On n’y arrive qu’au prix d’une conversion, cette conversion qui implique un changement de regard, un renversement de perspective auquel nous étions appelés il y a deux semaines, dans l’épisode évangélique où Jésus commentait ces deux faits divers qu’étaient l’assassinat de plusieurs personnes par les hommes de Pilate et l’écroulement d’une tour de Jérusalem qui avait entraîné la mort de 18 personnes.

Le péché, la Loi, la conversion et la grâce imprégnaient tout autant le récit que nous avons médité la semaine dernière, celui des deux fils, où l’aîné, le « fidèle », le « vertueux », s’indigne de la grâce excessive accordée à son frère pris en flagrant délit de dilapidation de l’héritage remis par leur père.

On voit assez souvent la conversion comme quelque chose d’exigeant, ce qui est vrai. On la voir moins souvent, malheureusement, comme quelque chose de grand et d’exaltant : le début d’.une vie nouvelle; le début d’une nouvelle manière de vivre sa vie. Apprendre à tout apprécier à partir de l’amour, cela dépend, bien sûr, d’une décision; mais il faut du temps pour que cela devienne en nous comme une seconde nature! C’est bien, me semble-t-il, ce dont témoigne Paul dans l’extrait de la Lettre aux Philippiens qui nous a été proposé tout à l’heure. Comme il le dit lui-même, Paul a été saisi par le Christ. Cela a impliqué que lui, le Pharisien qui ne vivait que de la Loi et pour la Loi, ait perdu l’assurance spirituelle et l’esprit de supériorité qu’il trouvait dans l’accomplissement de la Loi. Près de quinze ans après sa rencontre fulgurante avec le Christ Vivant, il doit le reconnaître : « Je ne suis pas encore arrivé! » Quelle vérité, quelle authenticité! « Je ne suis pas encore au bout, je ne suis pas devenu parfait! » « Je n’estime pas avoir déjà saisi ». « Oubliant le chemin parcouru et tout tendu en avant », Paul « court vers le but rattaché à l’appel d’en-haut que Dieu nous adresse en Jésus-Christ » (Philippiens 3 12-14).

Nous ne sommes plus qu’à deux semaines de la célébration de la mort et de la résurrection de Jésus. De celui qui avait été si longtemps l’insaisissable, il sera écrit : « Alors ils se saisirent de lui » (Luc 22 54). Mais de lui, aussi, il sera écrit : « La mort sur lui n’a plus d’empire » (Romains 6 9). Frères et sœurs, ne délaissons ni notre lecture de l’Écriture, ni la prière, et demandons à l’Esprit de purifier notre conscience de tout esprit de supériorité et de condamnation des autres, et de nous disposer à recevoir avec ferveur la grâce gratuite de notre salut. Amen.

Paul-André Giguère

 

(Source de la photo en introduction: frpikture.com)

LECTURES BIBLIQUES

 

Philippiens 3, 8-14

Jean 8, 1-11

Paul-André plus petit

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