Un coup de cœur

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« On ne va pas vers celui qui vient vers nous sans un grand élan de liberté intérieure. »

On se croirait au cinéma quand on lit ce récit. Il me semble écrit comme un film riche en effets spéciaux. Un fantôme, un homme qui marche sur la mer agitée, un autre qui se risque à son tour sur l’eau et qui, dans un premier temps, ne cale pas, et puis le calme soudain des éléments déchaînés. Quelle scène saisissante, absolument hors de l’ordinaire! Elle est tout sauf croyable. Presque rien ne se peut dans cette histoire. Le bon sens, ou notre esprit raisonnable et cartésien nous disent qu’une chose pareille ne peut pas arriver.

Puis-je vous suggérer qu’au contraire, ce que Matthieu met en scène décrit en image, en parabole, si on veut, quelque chose qui arrive très réellement et qui concerne la vie profonde de chacune et de chacun de nous.

Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits.

Les anglophones aiment dire que « le diable se cache dans les détails ». Peut-être l’Esprit Saint en fait-il autant… Le cœur de notre récit réside dans un détail qui peut nous échapper si on n’est pas attentif. Regardons attentivement ce que nous dit Matthieu. « Il vint vers eux en marchant sur la mer ». Il vint vers eux. Puis, plus loin, c’est Pierre qui dit : « Si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Venir vers toi. Matthieu poursuit en disant : « Descendu de la barque, Pierre marcha sur les eaux et alla vers Jésus ». Il alla vers Jésus.

Voilà : tout le spectaculaire et le prodigieux du récit est au service de ce « détail » qui nous a peut-être échappé quand nous l’avons lu ou entendu : le verbe « venir vers ». Ce que Matthieu nous propose, c’est un enseignement sur la vie spirituelle chrétienne.

Au départ de la foi des juifs comme des chrétiens, il y a une conviction : celle que Dieu a pris l’initiative de venir vers nous, et cela a commencé avec l’appel d’Abraham. À travers les péripéties et les personnages de l’Ancien Testament, Dieu s’est révélé comme Celui qui vient. Les dimanches de sainte Cène, ne chantons-nous pas « Béni soit celui qui vient »? Et nous connaissons la question de Jean-Baptiste à Jésus : « es-tu celui qui doit venir » (Matthieu 11 3)?

Dieu est venu vers nous pour que nous venions vers lui. Voilà pourquoi Jésus, celui qui ne cesse de parler de lui en disant « Je suis venu », dit à chacune et chacun de nous, comme à Pierre et aux premiers disciples : « Viens ». « Venez ».

Qu’est-ce que croire, qu’est-ce que la vie spirituelle, sinon répondre à un appel? Donner suite à une invitation. Consentir à une vocation. Se mettre en route vers une rencontre. Il vint vers eux… ordonne-moi de venir vers toi… il alla vers Jésus.

Les évangiles nous présentent Pierre comme un personnage impulsif. Il est prompt. Spontané. Il parle ou agit sans réfléchir. Mais ce n’est jamais sur un coup de tête. C’est toujours sur un coup de cœur. Pierre est un être de désir. C’est un affectif. Il « sent » les choses (comme bien des pêcheurs). Quelque chose l’attire chez Jésus, qui le fascine. Tout cela est concentré dans ce « Jésus vint vers eux… Si c’est toi, ordonne-moi de venir à toi… Il vint vers Jésus. »

C’est d’abord cela, croire. Faire confiance à un mouvement intérieur qu’il nous arrive d’éprouver quand on est touché par quelqu’un : un regard, une parole, une attitude. Et donner suite à ce mouvement. Si nous sommes ici, ce matin, c’est que de manière parfois claire, mais peut-être aussi plutôt confuse, nous sentons que Jésus peut nous conduire là où nous appelle notre désir profond. Même s’il ne cesse de nous dérouter, peut-être même parce qu’il nous prend souvent à contre-pied, nous bouscule, questionne nos façons spontanées de voir et d’agir.

Quelque chose nous attache à lui et qui peut rester fort même quand nos vies sont dans la tempête.

Il vient vers nous pour que nous venions vers lui.

Je tire deux bonnes nouvelles de ce récit. La première concerne tout être humain. Cet homme qui marche sur la mer au milieu de la tempête montre à tout être humain que nous ne sommes pas condamnés à vivre paralysés et terrorisés quand la vie est difficile et que l’horizon semble bouché. Il dit à tous que nous avons la capacité de répondre à l’appel à la vie, à la vraie vie que chacun, chacune éprouve au plus profond. « Va vers toi, viens vers toi », dit Dieu à Abraham. Va vers ton rêve. Va vers le meilleur de toi-même. Nous aspirons tous à cela, comme le chante encore notre poète :

« Comme Abraham, Isaac et Jérémie,

le vieil Horace, saint-Laurent et saint Louis,

ces dédaigneux de la gloire de ce monde,

me joindre à eux, l’espace d’une seconde »… (Félix Leclerc)

Et si nous avons la capacité de rester debout même au cœur des tempêtes de nos existences, c’est que nous avons la capacité de nous dégager de ce qui entrave notre liberté. L’appel de Dieu à Abraham implique qu’il quitte la sécurité que représentent son pays, sa famille, tout ce qu’il connaît, pour aller vers l’inconnu : « le pays que je te montrerai ». La réponse de Jésus à Pierre lui révèle qu’il a la capacité de quitter la sécurité que représente la barque où il se trouve avec ses compagnons.

Jésus lui-même avait acquis cette liberté en changeant de vie au contact de Jean le Baptiste. Il avait quitté son village, abandonné son métier, coupé avec sa famille et commencé à être enfin celui qu’il devait être. Il était le premier à avoir vendu tout ce qu’il avait pour acheter le champ dans lequel se trouvait un trésor ou pour se procurer la plus belle perle, comme nous l’avons vu récemment à propos de ce que Darla appelait les « petites paraboles ». À son tour, Pierre dira un jour à Jésus : « Nous, nous avons tout laissé et nous t’avons suivi » (Matthieu 19 27). On ne va pas vers celui qui vient vers nous sans un grand élan de liberté intérieure. Voilà la vie spirituelle que les chrétiens proposent d’emprunter.

N’aurions-nous pas ici tellement d’histoires à raconter? Comment l’une a laissé là sa profession et sa ville, a pigé dans ses REER et est partie ailleurs réaliser un rêve un peu fou, comment un autre qui étouffait dans la clandestinité a osé sortir du placard et décidé de vivre en pleine lumière son orientation sexuelle, comment cette famille a su laisser derrière elle, douloureusement, toute sa parenté et ses coutumes pour émigrer, avec espoir et confiance, vers une terre qu’elle souhaite accueillante. La bonne nouvelle pour tout humain, ce en quoi Jésus se révèle un grand maître spirituel, c’est qu’il nous assure que nous avons cette grandeur de pouvoir nous détacher de ce qui nous empêche d’aller au bout de notre désir profond. On peut rester paralysés par le besoin de sécurité, mais on peut aussi s’en affranchir et ainsi, on ne dira jamais avec amertume, à la fin de sa vie : « J’aurais donc dû! »

La deuxième bonne nouvelle concerne les croyants. Nous le savons par expérience : loin de nous engourdir dans un confort spirituel, l’Évangile ne cesse de nous déranger. De nous confronter à des manières de voir et de faire qui ne nous sont pas familières. Comme Jésus en son temps, l’Évangile ne cesse de nous bousculer dans nos sécurités. Il n’y a de progrès spirituel et de maturation de la foi que lorsque le désir d’aller vers Dieu par Jésus nous fait consentir à quitter, parfois, des images de Dieu ou des manières de lire la Bible, familières mais que nous découvrons insatisfaisantes ou imparfaites. Il nous faut alors les délaisser pour mieux aller à la rencontre de Celui qui vient vers nous et pour mieux nous ajuster à lui. Et comme pour Pierre dans notre récit, le mouvement qui nous en donne l’énergie, ce n’est pas la peur, c’est le désir. La peur paralyse et fait rester dans la barque. Le désir de la rencontre engendre l’audace de la foi.

Rendons grâce à Dieu pour cette extraordinaire capacité de l’être humain de prendre le risque de suivre l’appel profond de la vie et de la liberté. Rendons-lui grâce et bénissons-le de ce qu’il nous donne, en Jésus qui vient vers nous, une manière de traverser l’existence qui ne soit plus marquée par la peur de la mort, une peur qui, nous dit l’auteur de la Lettre aux Hébreux, peut nous faire passer toute notre vie dans une situation d’esclaves (2 15). Bénissons Dieu d’être celui qui vient vers nous pour que nous puissions aller vers lui. Amen

Par Paul-André Giguère

 

TEXTES BIBLIQUES

Genèse 12 1-4a

Matthieu 14 22-33

 

Un commentaire

  1. Simon Hénaire says: · ·Répondre

    Salut Paul-André. J’ai lu ton homélie et j’y réfléchirai. Mais déjà je te reflète mon intérêt non seulement pour ta façon d’écrire pour être compris, mais aussi pour ton propos lui-même que je trouve à la fois généreux et inspirant. J’espère pouvoir te lire à nouveau bientôt. Ceci dit, je demeure interpellé par la conclusion de ton livre sur le psaume 94. Je te souhaite donc une bonne continuité intellectuelle… Merci Paul-André.

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