L’Église, au temps des écoles de cirque!

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

Le journal Le Soleil a une rubrique Mots d’enfants dans son magazine de l’édition du samedi. Je vous en lis un qui, dans sa brièveté, en dit long sur là où en sont les Églises, bâtiments et institutions y compris, dans notre Québec d’aujourd’hui et ailleurs en Occident. Sophie, 3 ans, venait de débuter des cours à l’École de cirque de Québec, située dans l’ancienne église catholique Saint-Esprit de Limoilou. Quelques jours plus tard, apercevant un clocher d’église, elle s’écria : « Regarde Maman! Une autre école de cirque. »[1] À Limoilou, d’autres enfants, aussi observateurs et aussi vifs d’esprit que la petite Sophie, doivent bien se dire la même chose; d’autant qu’une deuxième église, l’église-mère du quartier, l’église Saint-Charles, est aussi devenue une école de cirque. L’anecdote que j’ai choisie illustre le côté le plus insolite et le moins prévisible, pour les générations qui nous ont précédés, d’un changement d’affectation de bâtiments pour elles réservés à perpétuité au culte. Plutôt que de transformations en écoles de cirque, il est plus souvent question en ville de démolitions, de réaménagements en condos, de classifications patrimoniales sans usage défini et à la campagne, de recyclage en salles communautaires avec une petite place laissée au culte. On pourrait donc multiplier les exemples non seulement à l’échelle d’un quartier, mais encore à l’échelle de la ville, des villes, des régions, des pays et de l’Occident en général. Rien de mieux que d’être concret pour voir la réalité en face!

Les démolitions ou « requalifications » de bâtiments d’église, comme on dit maintenant, sont les signes sensibles d’un changement d’époque et d’un appel à relancer l’annonce de l’Évangile sur d’autres bases que celles qui prévalent depuis des siècles en Occident; avec à la clé un retour à l’essentiel, c’est-à-dire l’exemple et l’enseignement de Jésus le Christ, actualisé pour notre temps et partagé dans des modes d’association à réformer, voire à réinventer.

En juin dernier, le site catholique d’information religieuse Présence-info publiait une entrevue avec une éminente sociologue française des religions, co-auteure d’un livre intitulé Vers l’implosion? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme. « Ma conviction, affirme-t-elle, c’est que l’Église catholique est menacée d’implosion par dislocation de sa structure interne. C’est un diagnostic pessimiste que le livre assume, et qui concerne la France, les pays de l’Europe de l’Ouest, le Canada, les États-Unis – avec certaines différences – et certains pays d’Amérique latine. C’est un constat de crise extrêmement grave qui implique que l’institution doit se refonder elle-même pour surmonter ce cap. »[2]

Au cours du même mois de juin, le magazine Broadview, qui comporte une section sur l’Église Unie, présente un article qui aborde ouvertement l’enjeu de son déclin institutionnel au Canada anglophone, bastion historique de sa fondation et de sa croissance. Il cite un pasteur qui est chroniqueur au magazine. Celui-ci croit que « l’Église Unie est en train d’évoluer vers quelque chose de différent, de sorte qu’elle ne va pas disparaître. » Cependant, si on pose la question autrement: « est-ce que l’Église-institution, telle qu’on la connaît, est appelée à disparaître? » Sa réponse est : « Oui, je pense que oui. Nos structures, telles qu’elles existent, sont conçues pour assurer la continuité d’une institution, pas pour créer quelque chose de nouveau. Mais il y a là, ajoute-t-il, ce que je vois comme une bonne nouvelle. Quand nous en aurons fini de dépenser autant d’énergie à dispenser des soins palliatifs à l’institution, nous pourrons passer à une nouvelle naissance. »[3] Un prêtre catholique dissident n’en pensait pas autrement il y a plusieurs années, mais en étant, lui, explicite quant à la matrice d’où l’Église peut  « naître de nouveau », suivant la parole de Jésus à Nicodème. « Je suis positif, écrivait ce prêtre, devant ce qui se passe dans l’Église d’Occident : une perte de pouvoir, de contrôle. Une Église qui se fait humilier et dépouiller, c’est un appel à la conversion à l’évangile. »[4]

Non seulement ceux et celles qui se veulent disciples de Jésus le Christ sont-ils appelés à se recentrer ensemble sur l’Évangile, mais encore à trouver les mots pour en parler à une nouvelle génération d’hommes et de femmes. Non seulement cette génération n’a-t-elle reçu aucune éducation religieuse, mais encore est-elle prévenue contre les Églises, à cause des fautes passées qui discréditent celles-ci, à cause aussi d’une opinion publique qui transmet à cette nouvelle génération les frustrations d’une époque qu’elle n’a même pas connue. À l’encontre de ce contexte apparemment désespérant, le verset d’Ésaïe que nous avons lu nous met en confiance, à l’écoute de cette parole qu’il attribue à Dieu : « Je me suis laissé rechercher par ceux et celles qui ne me consultaient pas, je me suis laissé trouver par ceux et celles qui ne me cherchaient pas… » (És 65, 1). De fait, dans cette génération, se trouvent des personnes en recherche spirituelle sans tradition religieuse et d’autres qui ne cherchent pas, mais pour qui Dieu se laisse trouver à l’occasion d’une circonstance exceptionnelle. Dans le passage que nous venons de lire, l’apôtre Paul nous dit, à partir de son expérience, que c’est à nous de nous mettre sur la longueur d’onde des interlocuteurs et interlocutrices en recherche spirituelle qui croisent nos chemins de vie, et non à eux et elles à absorber le langage établi dans lequel nous sommes habitués à dire notre expérience religieuse.

Comme le dit Jésus à Nicodème, « le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où il vient ni où il va. » (Jn 3, 8). En 2017, une personne du réseau de ma famille élargie, atteinte d’un cancer à faible probabilité de rémission, me demande si elle pourrait avoir un service « non-religieux » dans l’église Chalmers-Wesley. En 2007, elle avait été présente à un service que j’avais présidé, celui d’un artiste-peintre qui avait fréquenté l’église dans son enfance et sa jeunesse. Artiste elle-même, elle avait été touchée par la beauté du lieu et l’accueil ouvert de la célébration. Je lui donne les coordonnées du secrétariat. Telle que formulée, avec son accent sur le « non-religieux », sa demande lui vaut une réponse négative qui se comprend. Un service « non-religieux » dans une église, cela ne va pas de soi, vous en conviendrez. De rémission improbable en rémission improbable, elle porte avec courage la vitalité qui l’anime jusqu’en 2021, alors qu’elle entre dans une phase qui s’annonce terminale. Elle me renouvèle sa demande. Entretemps, j’ai compris, par des bribes de conversation dans la famille, qu’il s’agit d’une personne représentative de sa génération : en rejet des institutions d’Église, mais profondément spirituelle. Je lui propose de préparer avec elle et ses enfants une célébration dans laquelle je prononcerais la parole du croyant. Elle accepte. Avec l’accord de sa pasteure Darla, il est convenu que Saint-Pierre accueillera cette célébration. Suite au décès, je la prépare avec deux jeunes adultes sans références religieuses, ses enfants. Je suis à l’écoute, dégagé de toute tentative d’imposition des paroles et rites coutumiers. Le service sera une alternance de témoignages et de pièces musicales, avec en conclusion un envoi spirituel et une « recommandation à Dieu » à laquelle j’inviterai à se joindre en pensée ceux et celles qui se sentent à l’aise de le faire. Le service a eu lieu le 30 avril dernier. Environ 200 personnes étaient présentes. Cet été, une personne proche de la défunte m’a contacté pour qu’on échange à partir de son questionnement spirituel.

« Le vent souffle où il veut… » Il y a là pour moi, pasteur à la retraite, dans cette expérience qui est venue me chercher, plutôt que je l’ai cherchée, un signe qui indique une piste pour l’avenir du ministère qui nous est confié sur la voie ouverte par Jésus le Christ.  Amen.

 

LECTURES BIBLIQUES

Ésaïe 65, 1

1 Corinthiens 9, 19-23

Jean 3, 1-11

 

[1] « le p’tit mag. », Le Soleil, samedi 26 mars 2022, page M41.

[2] Demers-Lemay, Miriane, « L’Église catholique doit se réformer en profondeur pour survivre, constate la sociologue Danièle Hervieu-Léger », sur https://presence-info.ca, le 21 juin 2022.

[3] Tejada, Chloe, « A reimagined role for churches », consulté sur general@broadview.org le 17 juin 2022 (je traduis).

[4] Claude Lacaille sut http://sentiersdefoi.info/je-suis-un-homme-de-frontiere-un-peu-fou, consulté le 10 avril 2014.

 

Un commentaire

  1. Jean LOIGNON says: · ·Répondre

    C e questionnement ecclésial canado-québécois pourrait bien annoncer celui de la France dans un avenir proche. Pas encore d’école de cirque dans les églises mais…

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