L’Église, au temps du déclin de l’institution

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

Dimanche dernier, j’ai fait allusion à un article paru en juin sur le site du magazine anglophone Broadview, dans sa section réservée aux nouvelles de l’Église Unie[1]. L’article ne livre pas vraiment le contenu annoncé par  le titre : « A reimagined role for churches »/Un rôle réimaginé pour les églises . Il a  néanmoins le mérite de citer un pasteur et chroniqueur qui aborde ouvertement la question de l’avenir : « Est-ce que l’Église-institution, telle qu’on la connaît, est appelée à disparaître? » Sa réponse est : « Oui, je pense que oui. Nos structures, telles qu’elles existent, sont conçues pour assurer la continuité d’une institution, pas pour créer quelque chose de nouveau. Mais il y a là, ajoute-t-il, ce que je vois comme une bonne nouvelle. Quand nous en aurons fini de dépenser autant d’énergie à dispenser des soins palliatifs à l’institution, nous pourrons passer à une nouvelle naissance. »

Facile à dire. Mais par où passe le chemin vers une nouvelle naissance? Le plus grand théologien que d’après moi, l’Église Unie ait connu dans sa courte histoire, Douglas John Hall, que j’ai eu le privilège d’avoir comme professeur à la Faculty of Religious Studies de l’Université McGill, était, lui, plus explicite, en réponse à la question. Dès 1996, dans le troisième volume de sa magistrale synthèse théologique, il nous référait à Matthieu 7, 14 pour retrouver la réponse qui n’aurait jamais dû être oubliée dans l’histoire des Églises. Le chemin vers une nouvelle naissance passe par la « porte étroite »[2]. Il est vraisemblable que Jésus ait eu en tête le verset du prophète Michée que nous venons de citer (Mi 2, 13). La « porte étroite » est celle que Jésus nous donne à découvrir par son exemple et son enseignement. Michée ne pouvait pas le savoir en son temps, mais Jésus le Christ est celui qui monte devant nous, qui ouvre la brèche vers l’avenir. C’est avec lui que l’Église, embourbée dans son déclin institutionnel, peut franchir la « porte étroite » et commencer à marcher son avenir, comme aux premiers temps, mais dans l’actualité de notre temps. L’Église « qui prétend demeurer en lui, il faut qu’(elle) marche (elle-même) dans la voie où lui a marché. » (1 Jn 2, 6).

À mon humble avis, ce qui devrait être évident ne l’est pas. Pendant mes années de ministère actif, j’ai assisté à deux épisodes de révision institutionnelle des structures dans notre Église. Avec le recul du temps, je me rends compte qu’on est tout de suite passé aux moyens organisationnels de composer avec la baisse de la clientèle et la diminution des revenus, comme si on était une entreprise du monde des affaires. On a sauté l’étape prophétique, celle où on se rebranche résolument sur les idéaux fondateurs, sur ce qu’un sociologue que j’aime bien appelle « l’espérance ensevelie  au cœur de l’institution »[3]. On a pensé pouvoir passer par la large porte des sciences de l’administration pour rester ouverts sur le marché de l’offre spirituelle. La « porte étroite » est pourtant celle par où Jésus nous invite à passer pour continuer à marcher avec lui sur le chemin où il nous appelle. La question qui sert de mot de passe pour franchir la porte n’est pas ‘comment nous réorganiser pour durer?’, mais ‘comment, avec les moyens dont nous disposons, nous recentrer sur l’essentiel pour en témoigner dans un monde où le temps du triomphalisme des Églises est révolu?’. Cet essentiel, c’est Jésus le Christ tel qu’il nous est donné à découvrir dans les évangiles, au plus près de sa réalité historique. Cet essentiel, c’est l’inspiration de son Esprit, pour actualiser son exemple et son enseignement dans notre réalité d’aujourd’hui. N’est-ce pas ce qui nous vaut notre nom de chrétiens et chrétiennes?

Facile à dire, mais qu’est-ce que ça implique concrètement? Bien sûr, il faudrait toute une démarche de dialogue et d’accueil en Église de l’inspiration de l’Esprit, pour vraiment répondre à cette question et tirer de nos réponses des conclusions pour l’action, dans la perspective d’une relance de la dynamique de mouvement au cœur de l’institution. Pourtant, en abordant la relance de l’Église à partir de l’Évangile, des priorités se dégagent d’elles-mêmes comme des évidences. Par exemple, il faudra bien qu’une relève pastorale, aussi bien laïque qu’ordonnée, qui n’a pas grandi en contexte culturel de chrétienté, sache de qui elle parle, quand elle se présentera comme « Église du Christ » devant une société laïcisée. Ceci implique que soit préservé et transmis le formidable héritage qui s’est constitué depuis le XIXe siècle, et qui à partir de l’exégèse des évangiles, nous fait découvrir un Jésus plus réel que celui d’une religiosité en voie de disparition, et donc plus susceptible d’interpeler des femmes et des hommes étrangers à cette religiosité. Ceci représente pour moi la clé de voûte du retour à l’essentiel. Comme dit l’apôtre Paul dans une de ses lettres, « quant au fondement, on ne peut en poser un autre que celui qui est en place : Jésus Christ. » (1 Co 3, 11). Et, dans une autre lettre, « il s’agit de le connaître… » (Ph 3, 10). Autrement, aussi bien transformer l’Église en OBNL, organisme à but non lucratif voué aux causes humanitaires; ce que notre Église donne parfois l’impression d’être, tant elle est discrète sur la base christique de ses engagements pour la justice sociale.

À partir de cet exemple, on peut voir se profiler une série de questions susceptibles d’orienter un chapitre sur la formation des membres et du personnel, dans une révision à venir des structures organisationnelles pour les adapter aux circonstances nouvelles, tout gardant l’Église branchée sur l’essentiel. Alors que les études théologiques sont de plus en plus marginalisées dans les universités, comment assurer la formation des hommes et des femmes appelés à animer et enseigner les communautés de foi à la base de l’Église? Nous en sommes déjà au point où 54% des postes à pourvoir sont à temps partiel[4]. Comme Paul, l’apôtre et fabricant de tentes (Ac 18, 2-3), les animateurs et animatrices des communautés devront concilier leur ministère avec un emploi lucratif qui leur permette d’atteindre un niveau de vie décent pour eux ou elles et leur famille. Comment alors rendre possible leur formation intensive de départ et par la suite, leur formation continue, sans rien sacrifier de l’essentiel, à la fois sur le plan de la connaissance de Jésus le Christ, sur le plan de la culture biblique qui donne les clés d’interprétation de son message, sur le plan d’une théologie pratique qui ouvre le terrain de la créativité à la rencontre  des chercheuses et chercheurs de Dieu dans la société sécularisée? Bien d’autres questions dans cette veine se posent. Des lanceurs d’alerte dans notre Église et dans des Églises qui lui ressemblent commencent à en débattre publiquement[5]. La question de fond reste cependant celle que cette prédication veut soulever. Notre Église va-t-elle s’en tenir à passer par la porte largement ouverte et très populaire du modèle de l’administration des affaires ou par la « porte étroite » et pas vraiment populaire par laquelle Jésus nous invite à passer avec lui?

Cette question qui se pose dans l’ensemble de l’Église trouve son point d’application dans chacune des paroisses. Ceci vaut pour les paroisses qui pourraient ne rien changer, malgré la baisse drastique du nombre de leurs membres, tant elles disposent de biens accumulés sur le parcours d’une longue histoire. Cela vaut autant pour les paroisses habituées à la précarité, comme Saint-Pierre dans sa courte histoire, et tant d’autres comme elle. Dans un contexte de déclin institutionnel généralisé, que veut dire pour nous ici passer avec Jésus par la « porte étroite »? Comment non seulement survivre pour un temps comme communauté qui assure le ressourcement spirituel de ceux et celles qui la fréquentent déjà, mais encore continuer à justifier notre espérance devant ceux et celles d’en dehors qui sont en attente plus ou moins affirmée qu’on en rende compte (1P 3, 15-16). Pas facile de se glisser par cette « porte étroite ». Que Dieu nous soit en aide, lui qui travaille en nous et parmi nous par son Esprit, qui est celui du Christ Jésus! Amen.

 

LECTURES BIBLIQUES

Michée 2, 13

1 Jean, 2,6

Matthieu 7, 13-14

 

[1] Tejada, Chloe, « A reimagined role for churches », consulté sur general@broadview.org le 17 juin 2022 (je traduis).

[2] Hall, Douglas John, Confessing the Faith, Christian Theology in a North American Context, Minneapolis, Fortress Press, 1996 : 202.

[3] Alberoni, Francesco, Genesi, Milan, Garzanti, 1989 : 202.

[4] White, Christopher, « Precarious and part time. The United Church is changing its model of ministry – for better and for worse », Broadview, June 2022.

[5] Ibid.

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