La voie, la loi et la liberté

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

La vie chrétienne n’est pas une destination… mais une série de déplacements… vers plus de vérité, d’intégrité, de justice. C’est la voie qui nous conduit à Dieu et à sa volonté, non seulement pour nous, mais pour la création tout entière. La route est longue, parfois paisible, mais souvent ardue et semée d’embuches. Pour minimiser les risques d’accidents de parcours, il nous faut des lois, un code de la route. Tous les mouvements religieux en ont. Et ces codes ont souvent des points en commun (la règle d’or, par exemple).

La voie de Jésus de Nazareth et de ses disciples était balisée par les enseignements des commandements et des prophètes, un code de la route qui se résume ainsi : « Car toute la Loi se résume dans cette seule parole : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Gal 5, 14) Jésus lui-même le dit. Lorsqu’on lui demande lequel des commandements est le plus grand, Jésus répond : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est là le grand, le premier commandement. Un second est aussi important : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes. » Matthieu 22, 37-40. Ailleurs, il dit aussi, « Faites pour les autres tout ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous : c’est là ce qu’enseignent les livres de la loi de Moïse et des Prophètes. » (Matthieu 7, 12) Aimer Dieu, c’est aimer son prochain, c’est faire aux autres ce que l’on voudrait qu’on nous fasse. Remarquez bien, Jésus ne dit pas : « Ce que les gens font pour vous, faites-le pour eux. Aimez les gens qui vous aiment, offrez l’hospitalité aux gens qui vous accueillent, soyez généreux envers les gens qui sont généreux envers vous. » La loi divine nous impose une conduite qui dépasse les limites d’un minimum de politesse réciproque.

Voilà un détail important. Les lois peuvent fixer des consignes et des baliser à respecter afin de minimiser les excès, les accidents de parcours et les débordements. Et notre liberté là-dedans ? La liberté, est-ce choisir de se conduire comme on veut ?

La loi fixe des minimums à respecter. On peut en débattre… du moins dans les sociétés démocratiques comme la nôtre. Ici, il existe des processus qui permettent de modifier les lois selon les circonstances. Ici, nous sommes libres de manifester, d’exprimer publiquement des opinions contraires. Ce n’est pas le cas dans tous les pays. Nous le savons.

Nous sommes aussi libres d’aller au-delà des prescriptions minimales requises. Il me semble que c’est ce à quoi Jésus nous appelle aujourd’hui. Aimer les gens qui nous aiment, c’est bien. Prêter ou donner pour ce que nous pouvons avoir en échange, ce n’est pas nécessairement malhonnête ou méchant. Ça peut même être « une bonne affaire ». Mais Jésus appelle ceux et celles qui l’écoutent, c’est-à-dire ceux et celles qui veulent suivre sa voie, à aller au-delà de ce qui serait « une bonne affaire », un bon deal.

Nous le savons, n’est-ce pas ? Pour avancer vers plus de justice, plus d’équité, plus de vie, pour nous et pour la création, il faut faire plus que le minimum. Il nous faut une transformation radicale de nos rapports les uns, les unes aux autres. Pour nous, les plus avantagés, il faut même aller jusqu’à nous laisser déposséder de certains biens, de certains privilèges acquis. N’est-ce pas une façon de comprendre ce « à qui te demande, donne » ? Nous qui avons beaucoup, acceptons-nous d’avoir moins pour que d’autres vivent mieux ?

Mais… aimer ses ennemis ? Woah! Stop ! Faire plus que le strict minimum, d’accord. Mais… aimer quelqu’un qui me fait violence, qui cherche à me détruire, à m’anéantir ? Bénir les gens qui me maudissent, dire du bien de ceux et celles qui me calomnient ? Quand quelqu’un me frappe… lui tendre l’autre joue ? Quand quelqu’un me prend mon bien, je dois lui offrir plus encore ? Et le bénir en plus ?

Si en entendant ces paroles de Jésus, vous avez envie de quitter la salle Zoom, je vous comprends. On a trop longtemps servi ses versets à toutes les sauces. Souvent pour justifier l’injustifiable. Dire à une victime de violence physique, « Tends l’autre joue! »; aux peuples dépossédés qu’il faut laisser leurs ravisseurs tout prendre, ce n’est pas la voie de la vérité, de la justice et de la vie pour toutes et tous. Comment comprendre ce texte ? C’est tellement un gros morceau. Comment l’avaler ? Petit bout par petit bout… et en prenant notre temps.

Premièrement, permettez-moi de répéter quelque chose que j’ai dit il y a deux semaines. Ici, aimer ne signifie pas ressentir de l’affection, de la sympathie, pour quelqu’un. Richard l’a bien exprimé dans l’Infolettre de lundi dernier. Dans l’univers biblique, « le cœur n’est pas le centre de nos émotions, mais celui de nos décisions. » Aimer, c’est une décision, un choix. Aimer, c’est choisir. C’est choisir la confiance… la confiance en Dieu d’abord. Aimer mes ennemis, c’est au-dessus de mes forces. Mais rien n’est impossible à Dieu. Dieu peut m’amener à choisir la voie de la vérité, de la justice, de la vie… pour moi… et pour l’autre.

Quand la violence frappe… plutôt que de reposter violemment, la prière peut être salutaire. Confier mon agresseur à Dieu, peut m’aider à me libérer de son emprise sur moi. Je peux même envisager le bénir… d’autant plus que la bénédiction, c’est Dieu qui la donne… pas moi. Tout comme le pardon, d’ailleurs. Je peux l’annoncer… mais ce n’est pas moi qui donne le pardon. C’est Dieu, par sa grâce.

Dieu nous pardonne tous nos écarts de conduite. Nous sommes libres… non pas pour reprendre comme avant, non pas pour faire à notre tête, peu importe les conséquences pour nous et pour les autres. Nous sommes libres de repartir sur d’autres bases afin de rembarquer sur la voie de la vérité et de la vie pour toutes et tous.

Et là, je me demande… est-ce que tendre l’autre joue peut signifier autre chose qu’une invitation à endurer le cycle infini et infernal de la violence ? Est-ce que cela pourrait aussi être une invitation à choisir la non-violence… un baiser sur l’autre joie plutôt qu’une taloche ? Et si on allait un peu plus loin dans cette direction ? Pourrait-on voir, par exemple, l’invitation à ne pas refuser sa tunique comme l’occasion, de part et d’autre, de se passer de quelque chose qui ne répond pas à un besoin réel ? Je ne dis pas que c’est ce que Luc entendait… pas nécessairement… mais c’est une piste qui serait intéressant à explorer.

Il ne faut pas être naïf, embarquer dans cette voie n’est pas sans risques. Cela me fait penser à la justice réparatrice, ces processus de rencontres entre victimes et agresseurs qui ont pour but de libérer les deux parties du cycle de la violence. Ces rencontres sont bien balisées et bien préparées… longtemps à l’avance. Cela ne s’improvise pas et cela suppose que les deux parties sont de bonne volonté, choisissent librement la voie de la non-violence, de la vérité, de la justice, et de la vie en abondance pour toutes et tous. Et souvent, c’est un choix qui se fait au jour le jour.

Je pense aussi au documentaire « L’imam et le pasteur » qui raconte l’histoire de deux leaders religieux responsables de milices opposées dans les conflits de leurs communautés au nord du Nigeria et qui finissent par choisir librement la voie de la repentance. Leurs vies en témoignent : Dieu peut changer les cœurs. Il est possible pour les auteurs de violence de choisir devenir des instruments de paix.

Oui, la voie est exigeante. Comme le dit Antoine Nouïs « Si c’est pour répondre à la violence par la violence et à l’injustice par la riposte, nous n’avons pas besoin de l’Évangile, notre homme naturel sait très bien le faire Nous le faisons d’instinct. L’Évangile nous invite à une autre logique, celle de la non-violence. Cette non-violence s’enracine dans la révélation inouïe d’un Dieu qui a préféré mourir pour ses ennemis plutôt que de les écraser[1] ».

Et rendons grâce à Dieu, ce choix que Jésus a fait n’est pas au-dessus de nos forces. Par la grâce de Dieu nous n’avons qu’à laisser son Esprit conduire nos vies aux chemins de l’amour et toutes et tous connaitront la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la fidélité, 23la douceur et la maîtrise de soi. Amen.

 

LECTURES BIBLIQUES

Galates 5, 13-16.22-23

Luc 6, 27-36

 

 

[1] Nouïs, A. Le Nouveau Testament : commentaire intégral verset par verset, volume 1, Olivan /Salvator, p. 425.

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