Ils ont Moïse et les prophètes : qu’ils les écoutent!

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

Photo : Pixabay

J’ai bien aimé quand, dimanche dernier, Darla nous a dit que les évangiles ressemblent moins à un livre de recettes qu’à un casse-tête. Jésus n’avait en effet rien des auteurs de psychologie populaire qui proposent les sept secrets de la réussite, les dix étapes pour parvenir à la pleine conscience ou les douze clés pour se libérer de ses peurs et retrouver la confiance en soi.

Jésus n’a qu’une seule source d’inspiration : les textes bibliques. Voyez comment il répond au tentateur à la fin de son séjour de quarante jours au désert. Les textes bibliques ne sont pas pour lui un kit prêt à l’emploi. Leurs pages n’invitent pas à faire de la peinture au numéro. Pour Jésus, les Écritures nous sont données pour aider à entrevoir le sens secret de nos relations avec Dieu, avec nous-mêmes, avec les autres, avec la création. Elles nous sont données pour nous approcher d’une franche lucidité sur notre existence personnelle. Elles sont écrites à l’encre de Dieu bienveillant qui sait parfaitement que nous devons souvent choisir entre un chemin qui nous nuit et un chemin qui nous aide, ce que Moïse appelle la malédiction ou la bénédiction, la mort ou la vie.

L’extrait de l’évangile de Luc que nous recevons aujourd’hui est une pièce de casse-tête assez surprenante. Elle reprend une histoire qui était connue dans l’Égypte ancienne et qu’on retrouvera également dans le Talmud, cette référence obligée de la tradition juive. Jésus emprunte cette histoire pour nous conduire à une clé de lecture et de la Bible, et de nos vies. Ils ont Moïse et les prophètes. Qu’ils les écoutent.

Cette phrase constitue ce qu’on appelle la « pointe » de la parabole. Tout converge vers elle, qui, placée dans la bouche d’Abraham, le père des croyants, est répétée deux fois. « Ils ont – nous avons – Moïse et les prophètes », et aussi, pouvons-nous ajouter, les témoignages de Marc, de Matthieu, de Luc, de Jean, de Paul, de Pierre, de Jacques, de Jude. « Qu’ils les écoutent ». Que nous écoutions.

De ces premières observations, je dégage deux réflexions, qui portent peut-être deux questions.

La première réflexion nous met en contact avec notre appartenance à la manière protestante d’être chrétiens. Les Réformateurs du 16e siècle ont mis de l’avant le principe de l’Écriture seule, comme source de notre croyance et comme inspiration de notre agir. Dénonçant les abus qui gangrenaient l’Église au sortir du Moyen-Âge, ils ont affirmé que l’autorité sur nos vies de foi et sur celle de l’Église ne réside pas dans les définitions des conciles ou les enseignements du clergé, du prêtre de paroisse jusqu’au pape. Elle se trouve dans l’Écriture. Les Réformateurs ont protesté contre des dérives d’une vie chrétienne en Europe qui n’en avait que pour les miracles associés aux reliques des saintes et des saints, voire prétendument en lien avec Jésus lui-même, miracles qui attiraient les foules dans d’impressionnants pèlerinages où l’on pouvait gagner la grâce de Dieu au moyen d’indulgences. Ils ont protesté contre la peur qu’inculquaient les portails sculptés des églises représentant le jugement dernier et ils ont réhabilité la foi joyeuse en un salut reçu par pure grâce depuis le don que Jésus avait fait de sa vie.

Au cœur de notre foi et de notre condition de disciples, nous recevons la grâce des Écritures. Ils ont Moïse et les prophètes : qu’ils les écoutent. Comment cela s’inscrit-il dans notre vie, mes sœurs, mes frères? Voilà une première question pour chacune et chacun de nous, mais aussi pour notre communauté de foi : quelle place accordons-nous, très concrètement, à la fréquentation des Écritures pour éclairer nos choix et inspirer nos actions?

La deuxième question que je formule dans le prolongement de notre lecture de la parabole concerne la fin de la parole d’Abraham : Qu’ils les écoutent. Qu’est-ce que cela signifie concrètement?

J’essaie d’être honnête avec moi-même et avec vous. J’avoue avoir de la peine à me représenter le portrait final décomposé dans ces petites pièces de casse-tête et qu’esquisse pour nous l’Écriture, ce portrait global que Jésus appelait le Règne de Dieu. Alors souvent, mon écoute se fait sélective. Je me contente d’assembler les pièces faciles, celles qui ont un bord bien droit, qui me disent clairement le bien et le mal. Ou bien je me complais à assembler les pièces qui me font du bien, qui représentent un ciel bleu, un visage souriant, un paysage fleuri.

Mais il y a ces pièces, ces textes difficiles dont la présence est dérangeante. Alors, il m’arrive, il vous arrive peut-être à vous aussi, de remettre à plus tard l’attention ou la décision qu’ils requièrent.

Nous touchons ici à la tragédie humaine de la résistance et du déni. Voyez : on désigne parfois cette parabole comme celle de Lazare et du mauvais riche. Mais il n’est dit nulle part que l’homme de la parabole faisait du tort à quelqu’un, qu’il exploitait ses employés ou plaçait son argent dans les paradis fiscaux. Il vivait simplement sa vie de riche. Il appartenait au 1% des privilégiés. Il profitait pleinement du fruit de son labeur en portant des vêtements fins et en étant généreux avec ses amis et connaissances qu’il invitait à sa table. Il savit sûrement que la pauvreté existe, peut-être même savait-il que Lazare s’installait chaque matin à sa porte; mais il n’a pas songé un seul instant à lui faire donner ses restes de table. Il me fait penser au texte d’Ésaïe cité pat Matthieu  : « Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas. Le cœur de ce peuple s’est épaissi, ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouchés les yeux, pour ne pas voir de leurs yeux, ne pas entendre de leurs oreilles, ne pas comprendre avec leur cœur, et pour ne pas se convertir. Et je les aurais guéris! (Mt 13,14-15, citant la traduction grecque d’Ésaïe 6,9-10.

« Ils ont Moïse et les prophètes. Qu’ils les écoutent! » Cette parole s’adresse à nous à qui il arrive, à des degrés divers, de nous fermer les yeux et de nous boucher les oreilles.

Quelle est donc cette résistance que nous éprouvons tous à des degrés divers devant une parole qui vise à faire la vérité sur la réalité et sur nos vies personnelles et nous pousse à changer? Prenons un exemple actuel. Je remercie Michèle de m’avoir suggéré un rapprochement avec le film Déni cosmique, Don’t look up. Ce film illustre bien le refus tragique de voir l’évidence qui dérange et d’agir en conséquence; dans le film il s’agit de la dangereuse approche d’une comète, dans la réalité il s’agit des bouleversements incontrôlables du climat avec ses conséquences sur la disparition de la biodiversité et sur la qualité de la vie humaine. Par déni, par négligence ou refus de changer nos confortables façons de vivre, nous risquons de nous retrouver collectivement à quêter une goutte d’eau et à souhaiter que je ne sais quelle victime survivante de la crise aille dire aux pays qui ne seraient pas encore affectés par elle qu’ils devraient prendre la menace au sérieux.

Au fond de notre fragilité et parfois de notre détresse, surgit pourtant une espérance, puisque, comme nous l’avons entendu de la bouche de Moïse, nous avons toujours, maintenant, pendant qu’il est temps, la possibilité de choisir la vie : « C’est la vie et la mort que j’ai mises devant vous, c’est la bénédiction et la malédiction. Tu choisiras la vie pour que tu vives, toi et ta descendance, en aimant le SEIGNEUR ton Dieu, en écoutant sa voix et en t’attachant à lui. » (Dt 30,19-20).

Nous avons Moïse et les prophètes. Puissions-nous les écouter, avec la grâce du Dieu qui nous a créés pour que nous choisissions la vie, lui qui a tant aimé le monde qu’il a envoyé son fils pour que tous aient cette vie en abondance (Jean 10,10). Amen.

 

LECTURES BIBLIQUES

Deutéronome 30, 11-14.19-20

Luc 16,19-31

 

Un commentaire

Ajouter un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *