«De temple, je n’en vis point dans la cité, car son temple, c’est le Seigneur, le Dieu souverain»

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Apocalypse 21 22

« Si vous permettez », comme dit le docteur Arruda, nous allons consacrer notre méditation de ce matin à deux traits qui sont propres au quatrième évangile dans sa manière de présenter le  geste spectaculaire de Jésus au temple. Et vous allez voir, cela va nous entraîner beaucoup plus loin que la dénonciation de pratiques abusives où le commerce l’emporterait sur la piété.

Vous savez sans doute que les quatre évangélistes ont rapporté cet esclandre causée par Jésus dans le temple de Jérusalem. Mais Jean est le seul à nous en proposer une interprétation  théologique : « Lui parlait du temple de son corps » (Jean 2 21). Il se fait ici l’écho de la foi des disciples qui, se souvenant plus tard (v.17 et 22) de l’événement, en ont ainsi formulé la portée profonde.

Un deuxième élément distingue fortement le récit de Jean de ceux de Marc, Matthieu et Luc. Jean s’est permis de placer ce récit au tout début de son livre. Pour les trois autres évangélistes, la scène se joue à la toute fin du ministère de Jésus et constitue l’élément déclencheur d’une réaction qui conduira Jésus à sa perte quelques jours plus tard, lui qui sera accusé durant son procès d’avoir blasphémé contre le temple (Marc 14 58; Matthieu 26 61).

De son côté, Jean a décidé de placer le récit au chapitre 2, tout de suite après celui des noces de Cana, qu’il qualifie de « commencement des signes de Jésus » (Jn 2 11). Et si vous prenez la peine de regarder attentivement la manière dont l’évangéliste a agencé l’ensemble des premiers chapitres de son évangile, vous verrez vite et très clairement son intention. Dès les premières lignes, après le prologue solennel, chaque lectrice, chaque lecteur que nous sommes est invité-e à « venir voir » (1 39 et 46), tout comme les quatre premiers disciples mentionnés au chapitre 1. Et un peu à la manière d’un réalisateur de cinéma, les toutes premières scènes que Jean nous donne à voir, c’est le signe de la transformation de l’eau en vin à Cana et le signe de l’expulsion des vendeurs et des changeurs au temple de Jérusalem.

Dans le premier cas, Jean mentionne ce qui est pour lui plus qu’un détail : l’eau qui devient vin est versée dans « six jarres de pierre destinées aux rites juifs de purification » (2 6). Pour Jean, le signe de Cana illustre, de manière symbolique, comment à l’occasion d’un mariage, une nouvelle alliance est instaurée par Dieu et se substitue à la première. Mariage, alliance, le rapprochement des deux réalités est classique chez les prophètes bibliques.

C’est tout de suite après que Jean raconte le geste provocateur posé dans le temple par Jésus. Ce geste annonce le caractère désormais caduc d’un système religieux qui gravitait autour du temple, ce lieu emblématique de la première alliance : « Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai (2 19) ». Ainsi, les deux premiers signes proposent à notre foi qu’en Jésus, Dieu introduit une nouveauté inédite et absolue, qui a tout d’une sorte de rupture. Le vin nouveau est bien meilleur que l’ancien, et l’ancien était désormais épuisé; on rencontre Dieu dans une plus grande vérité dans le temple nouveau qu’est le Christ, et l’ancien temple a déjà perdu son âme.

L’auteur du quatrième évangile ne s’arrête pas là. Au chapitre trois, qui suit, Jésus annoncera à Nicodème la nécessité d’une « nouvelle naissance », une naissance en profondeur, non pas « de la chair » mais « de l’Esprit » (3 6). Et au chapitre suivant encore, Jésus dira à la femme de Samarie qu’il est arrivé, le temps où « ce n’est ni sur cette montagne, ni à Jérusalem qu’on adorera le Père (…) mais on adorera en esprit et en vérité » (4 21.24).

Après avoir bien « fait voir » l’irruption du nouveau dans ses chapitres 2 à 4, Jean consacre tout le reste de son évangile à illustrer la difficulté, même pour les disciples, d’accepter l’irruption de cette nouveauté radicale. Les obstacles que Jean mentionne tout au long des chapitres 5 à 12 sont multiples. Il y a, par exemple, le caractère ethnique du judaïsme qui, croyait-on, conférait un privilège spirituel aux descendants d’Abraham. Il y a aussi toute la doctrine et toutes les règles qui étaient intouchables car on les avait revêtues de l’autorité suprême de Moïse. Voyez-vous, ce ne sont pas seulement les tables des changeurs et les comptoirs de marchands d’animaux qui sont bousculés, mais toute une manière de concevoir et d’organiser la relation de l’être humain avec Dieu qui est balayée.

Alors, comment ne pas être une fois de plus saisi d’étonnement, interpellé et même dérangé par la majestueuse liberté de Jésus? Presque chaque page des évangiles, les quatre, le montre bousculant les codes : son autonomie face à sa famille, sa relation ouverte avec les étrangers, son accueil respectueux  des femmes, ses contacts chaleureux avec ceux et celles qu’on appelait les pécheurs, sa pratique si souple du sabbat, la relativisation totale avec laquelle il voyait la séparation du pur et de l’impur, sa lecture non conventionnelle et si personnelle des Écritures ou sa manière si audacieusement intime de parler de son rapport avec Dieu.

Mais d’où Jésus tirait-il donc pareille liberté, pareille ouverture à la nouveauté de Dieu? Ma conviction personnelle est qu’elle lui était donnée par l’Esprit. Il le dit souvent dans le quatrième évangile : il ne parle pas de lui-même, il n’agit pas de lui-même. Cette liberté l’habite depuis l’intense expérience spirituelle qu’il a vécue quand il était venu écouter la prédication de Jean le baptiseur et s’était fait baptiser. Les quatre évangélistes mentionnent tous l’irruption de l’Esprit sur Jésus à cette occasion, qui a marqué pour lui le début d’une toute nouvelle vie. Qui a été sa nouvelle naissance, non de la chair, mais de l’Esprit. Et cette expérience, Jésus l’avait vécue loin du temple, d’une synagogue, des prêtres, des rites, du calendrier liturgique. Il a été pris dans un rapport direct avec Dieu dans ce moment présent qui ouvrait sur l’avenir.

Je suis certain que plusieurs d’entre vous ont vécu une expérience spirituelle profonde qui a marqué pour vous aussi un nouveau départ. Les personnes qui vivent cela en parlent autour d’elles, en témoignent, souvent de manière discrète, pudique même, mais parfois de manière publique. C’est ce qu’a fait Jésus. Il s’est mis à proclamer la venue du Règne de Dieu et à poser des gestes comme pour l’anticiper. Il dégageait quelque chose qui attirait et qui activait, dans l’intime des personnes qui l’entendaient ou le voyaient, un appel au meilleur d’elles-mêmes. C’est ainsi que de petits groupes qu’on peut appeler des disciples se sont formés, qui ont cherché à apprendre de lui les gestes et les paroles qui font du bien.

La mort de Jésus a laissé le groupe des disciples sans beaucoup de repères concrets, sans aucune structure. Sous l’action du même Esprit, ils se sont mis à improviser. Dans des maisons particulières, ils se sont mis à réfléchir à leur expérience, comme le dit deux fois le texte d’aujourd’hui : « Lorsque Jésus se releva d’entre les morts, les disciples se souvinrent… » (v.17 et 22). Ils ont alors trouvé des mots pour dire ce qu’ils comprenaient mieux, des mots qui se sont révélés utiles pour transmettre à d’autres, des mots qui, de témoignage, en vinrent vite à prendre la forme d’un enseignement et, plus tard, d’une doctrine, éventuellement de dogmes. Parallèlement, les premiers disciples posaient tout spontanément des gestes, le souper pris en commun le premier jour de la semaine, par exemple, en rappel de ce qu’ils avaient vécu avec le maître; et ces gestes ont été peu à peu codifiés, se sont transformés en rituel, un rituel qui finit par se figer en règles sacrées et intouchables.

Et c’est ainsi que peu à peu, insensiblement, l’expérience spirituelle de la nouveauté se dégrade en institution, et la fidélité en répétition.

C’est un processus qu’on observe à l’œuvre aussi bien chez les disciples du Bouddha que dans le judaïsme, chez les musulmans comme chez les disciples de Jésus.

Vous vous demandez peut-être si on ne s’est pas éloigné de l’évangile d’aujourd’hui en parlant de passé révolu, de présent bouleversant, d’avenir fait de nouveauté. Pas du tout. Regardons un seul point. Observons comment avec le passage du temps, le visage de Dieu bascule insensiblement et presque inévitablement dans le passé. Dieu, c’est celui qui a créé le ciel et la terre. Dieu, c’est celui qui a fait des promesses à Noé, puis à Abraham. Dieu, c’est celui qui a donné la Loi et conclu une alliance par la médiation de Moïse. Dieu, c’est celui qui a parlé par les prophètes. Dieu, c’est celui qui est venu vers nous en Jésus et nous a sauvés par sa mort et sa résurrection.

Alors je m’étonne, je m’émerveille, même, de ce que, par contraste, Jésus ait été à ce point habité par un Dieu de l’avenir. Sans rien renier du passé, Jésus dit être venu « non pas abroger la Loi ou les prophètes, mais mener à son accomplissement » (Mt 5 17) et il ne cesse de proclamer : « Le Royaume de Dieu vient. Il s’approche. Le maître va revenir, l’époux va arriver. Le temps de la récolte et celui du bilan sont devant nous. Soyez vigilants, restez éveillés, en attente. Relevez la tête : votre délivrance est proche. »

Alors, posons-nous la question : nous qui sommes sensibles à l’action de Dieu dans le passé, qu’en est-il de notre attention à son action dans le présent, ou de notre désir et de notre ouverture à son action dans l’avenir?

Nous insérons notre suite de Jésus dans la tradition de la Réforme qui a, elle aussi, ses habitudes, ses conventions, ses rythmes, ses structures, ses courants. C’est une richesse. Mais une richesse dont nous pourrions nous aussi devenir prisonniers. Qui pourrait nous enfermer dans un cercle de répétition. Heureusement qu’au siècle dernier, Karl Barth a popularisé la formule Ecclesia reformata semper reformanda : Réformée, l’Église a toujours à se réformer. Et celui qui la réforme, ce n’est pas nous : c’est l’Esprit, lui qui la remettant en contact avec ses sources et l’expérience spirituelle fondatrice, dispose à accueillir l’a-venir que nous prépare le Dieu des promesses.

Ce matin, laissons-nous porter par la question: alors que la pandémie nous tient loin du temple et nous impose de nouvelles manière d’être et de témoigner, pouvons-nous laisser s’agrandir en nous une ouverture à une nouveauté que Dieu aurait en réserve pour nous et pour une humanité au seuil de transformations absolument inédites?

Notre Dieu n’est pas seulement l’alpha, il est aussi l’omega de notre histoire. Notre créateur n’est pas seulement au début du tout début; il « a créé et continue de créer » et il « agit en nous et parmi nous par son Esprit ». Et il sera sans fin celui qui vient, même au-delà de la fin.

Oui, il a été. Oui, il est. Mais oui, aussi, il sera. Amen.

 

LECTURE BIBLIQUE

Jean 2 13-22

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