Créateur, rédempteur, vivificateur

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

La fête de Pentecôte était passée. Progressivement, ils constituaient de petites communautés singulièrement hétéroclites : on y trouvait aussi bien des juifs que des non juifs, des esclaves comme des citoyens libres, beaucoup de pauvres et quelques riches, une majorité d’analphabètes et quelques-uns plus instruits, des femmes et des hommes sur le même pied. Des communautés absolument inclusives, vraiment inhabituelles pour l’époque. Et peut-être encore pour aujourd’hui.

Et ils parlaient encore de lui. Il était tellement présent au milieu d’eux dans son absence! Il avait laissé une trace indélébile. Au fil des mois, puis des années, les souvenirs affleuraient. Les détails s’estompaient, l’essentiel n’en apparaissait que plus clairement. Les nouveaux, qui ne l’avaient pas connu, demandaient aux anciens de leur parler de lui.

Ceux-ci se rappelaient d’abord, et surtout, son audacieuse liberté. Comment pourraient-ils oublier combien il était à l’aise avec les gens ordinaires, les petits, les malades, les veuves, voire les étrangers mais aussi, comme par une sorte de prédilection, ceux et celles qui n’ont pas la cote, les collecteurs des impôts, les douaniers, les prostituées, même. Il avait même touché un lépreux; une autre fois, c’était un mort.

Il faisait des choses qui ne se faisaient pas. Ses fréquentations faisaient froncer les sourcils, et en premier lieu aux membres de sa famille. Mais lui allait de ville en village avec une aisance tranquille, une assurance dont on ne s’expliquait pas d’où elle venait. Où puisait-il l’audace de dire « Tes péchés sont pardonnés » comme si c’était la chose la plus naturelle du monde? Qu’est-ce qui lui faisait transgresser les tabous et ne pas s’en faire outre mesure de ne pas obéir aux consignes interdisant de manger sans s’être lavé les mains en priant ou aux recommandations concernant le jeûne? D’où tirait-il cette évidence à ses yeux que « le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat? »

D’où lui venait cette manière unique de lire l’Écriture, en privilégiant des textes que leurs scribes ne leur présentaient jamais, comme la parole du prophète : « C’est la miséricorde que je veux, et non les sacrifices »? Pourquoi parlait-il si peu d’obéissance, de pureté et de rites et tellement de don et de pardon, comme si c’était la clé de la vie heureuse?

Les anciens racontaient encore aux nouveaux membres de la communauté comment il parlait de Dieu comme d’un père, comme de son père, comment ils l’avaient surpris à s’adresser à lui en disant : « Papa », comment il leur avait enseigné : « Quand vous priez, dites : Papa, fais venir ton règne »? Dans ses dernières paraboles, il avait semblé se mettre en scène sous les traits d’un fils unique, le fils du propriétaire d’une vigne qui ressemblait au Dieu dont Ésaïe avait parlé en disant que la vigne du Seigneur, c’est la maison d’Israël (Es 5 1-7).

Un souffle différent l’habitait. Une présence mystérieuse qui lui soufflait le mot qui fait du bien, le geste qui guérit, la réplique qui dénonce, le regard qui réchauffe.

Voilà, parmi bien d’autres choses, ce qu’on rappelait de lui.

Mais surtout, surtout, cinq, dix, vingt ans après sa disparition, eux s’efforçaient de vivre comme il avait vécu. Avec le même sens de l’autre, la même ouverture, le même sens du partage, la même liberté. Pour eux aussi, l’amour était plus important que la loi. Ils s’émerveillaient d’être animés à leur tour du même esprit que lui. Dans des milieux qui étaient très différents de la Galilée, ils inventaient une manière alternative de vivre ensemble. Malgré leurs différences et parfois leurs différends, ils se voyaient frères et sœurs, enfants d’un même père.

Certains d’entre eux avaient trouvé des mots nouveaux qui sonnaient juste. Paul, par exemple, leur avait écrit : Voyez comme vous êtes conduits par l’Esprit de Dieu! Voyez comment vous n’avez pas reçu un esprit qui vous tient esclave de Dieu et vous ramène à la peur de lui, mais un esprit qui fait de vous des fils et des filles. Voyez comment vous avez hérité du même Esprit que le Christ, et comment vous pouvez prier en disant, vous aussi à Dieu : Papa, père! Car oui, nous sommes tous et toutes enfants de Dieu.

Ils avaient tôt pris l’habitude d’accueillir les nouveaux en les plongeant dans l’eau, et pour dire d’où venait la vie nouvelle qui commençait pour eux, ils leur disaient : Je te plonge dans le Père. Je te plonge dans le Fils. Je te plonge dans l’Esprit.

Et puis, il fallait tout de même s’expliquer devant leurs adversaires. Qu’est-ce que c’était ça, ce genre de vie, ce genre de rapport entre eux, ce genre de rapport avec Dieu? D’où venait-il, cet Esprit dont certains disaient : c’est l’Esprit saint du Dieu très saint, d’autres : c’est l’Esprit même de Jésus, son Fils, qui nous est donné?

« Il y a donc trois Dieu, ont dit certains. Non, ont répondu les pasteurs rassemblés en concile, il n’y a qu’un seul Dieu. Mais, ont ajouté les autres, s’il n’y a qu’un Dieu, alors le Père, le Fils et l’Esprit doivent être des modalités, des facettes, des apparences changeantes d’un même Dieu! Non, leur a-t-on répondu, Père, Fils et Esprit sont des personnes vraiment différentes : l’une n’est pas l’autre. Mais s’il en est ainsi, ont rétorqué d’autres encore, les trois personnes ne sont pas vraiment égales : le Père est celui en qui réside pleinement la divinité, tandis que les deux autres personnes appartiennent à la divinité de manière moindre, de manière subordonnée, à la limite, comme des créatures. Non, a-t-il été conclu après de nombreux échanges : les trois personnes sont égales en divinité. Ainsi se constituait, dans le débat et le discernement, la base de toute théologie trinitaire ultérieure : il n’y a qu’un seul Dieu en trois personnes distinctes qui sont égales en divinité. » (André Fossion, Une nouvelle fois. Vingt chemins pour recommencer à croire, 2004, p.44-45).

Peu à peu, absorbé par des débats de plus en plus intellectuels, on s’est éloigné de l’expérience joyeuse de la liberté et de l’amour des enfants de Dieu animés, comme le Christ, par l’Esprit. La foi chrétienne en Dieu en est arrivé à ressembler à une sorte d’incompréhensible théorème ou problème algébrique à trois inconnues. Si bien que, au-delà de considérations politiques, la tragique séparation entre chrétiens d’Orient et chrétiens d’Occident s’est scellée autour d’une dispute : est-ce que l’Esprit Saint procède du Père et du Fils, ou du Père par le Fils? Quel charabia!

*

Il avait laissé une trace indélébile. Ils n’arrêtaient pas de s’en parler les uns aux autres. Et nous en parlons encore. Il a changé notre manière de concevoir la religion. Il a initié une nouvelle manière d’être ensemble. Il nous a donné accès à ce que Paul appelle « la liberté et la gloire des enfants de Dieu » (Rm 8 21) qui ajoute : « Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Cor 3 17). Jésus aurait dit : « Lorsque viendra le Consolateur que je vous enverrai d’auprès du Père » (Jn 15 26) : et oui, il nous a donné l’Esprit qui l’animait et qui anime toujours en nous notre désir, même fragile, de vivre comme il a vécu.

C’est ainsi que comme nous le professons, Dieu nous fait vivre avec respect dans la création et nous rend nous-mêmes créateurs. Dieu fait de nous des passionnés exigeants quand il s’agit de rechercher la justice et de résister au mal, quels que soient les visages sous lesquels ce dernier se présente. Et Dieu travaille en nous et parmi nous par son Esprit pour réconcilier et renouveler.

Nous célébrons ainsi, dimanche après dimanche, le Dieu créateur, rédempteur et vivificateur qui nous a fait connaître, en Jésus crucifié et ressuscité, qu’il n’est pas un être solitaire, mais un être de communion, de partage et de communication, de don et de pardon. Et que nous pouvons être à son image, selon sa ressemblance (Gn 1 26).

Que l’Esprit parle à notre esprit, dans le silence.

Par Paul-André Giguère

31 juin 2015

Lectures bibliques

Romains 8 14-17

Matthieu 28 16-20

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