S’ouvrir à l’impossible nouveauté

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L’épisode évangélique de la visite des mages a fourni à notre imaginaire des images fortes : l’étoile, l’or, l’encens, la myrrhe, les chameaux, les noms de Melchior, Gaspard et Balthazar, le mage noir, ainsi que leurs couronnes royales. Au-delà de ces détails souvent imaginaires mais toujours symboliques, c’est d’une tragédie d’une tristesse infinie que parle le récit de Matthieu que nous venons d’entendre. C’est cette tragédie que je vous propose de considérer un moment, ce matin.

cathedrale-strasbourg

« La Synagogue », Cathédrale de Strasbourg

Les protagonistes, nous les connaissons. D’un côté, « des mages venus d’Orient ». De l’autre, « Hérode », « tout Jérusalem » et « tous les grands prêtres et scribes du peuple ». Les premiers se déplacent de leur lointaine contrée après avoir assisté à l’apparition d’un astre dont la vue les remplit d’une « très grande joie », et par lequel ils se laissent guider. Les seconds ont pour les guider « ce qui est écrit par le prophète » mais qui semble les laisser passablement indifférents, comme suggère le fait qu’ils ne bougent pas de Jérusalem, Hérode se contentant de dire aux mages de l’avertir pour qu’il aille, éventuellement, rendre hommage à l’enfant.

 

Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits.

Voilà comment Matthieu annonce, dès les premières pages de son évangile, le drame qui en sera la toile de fond. Ce drame, une vingtaine d’années plus tard, l’auteur du quatrième évangile le dira dans ses mots à lui : « Le Verbe est venu chez les siens, mais les siens ne l’ont pas accueilli. Mais à ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu » (Jean 1 11-12).

Au moment où Matthieu écrit son évangile, cinquante ans ont passé depuis la mort de Jésus. Il est devenu assez clair que seule une minorité de juifs a reconnu en Jésus le Messie. Peu d’entre eux sont devenus ses disciples. Dans les synagogues, la tension est progressivement devenue méfiance, s’est développée en hostilité et il faudra peu de temps avant que les disciples de Jésus soient exclus des synagogues. La rupture sera alors consommée.

Déjà, trente ans plus tôt, Paul éprouvait « une grande tristesse et une douleur incessante » (Romains 9 2) en constatant que la masse du peuple juif, « le peuple de l’élection et de la promesse, avait méconnu la réalisation de cette promesse en Jésus Christ et semblait, par son manque de foi, en dehors du salut » (TOB, note à Romains 9 2).

La voilà, la tragédie : le peuple juif était le peuple de l’élection, de l’alliance, de la promesse. Cette conviction tirait son origine des Écritures et s’y nourrissait. Tout le plan de Dieu se trouvait dans les Écritures. Tout y était annoncé, et tout était dit. Les grands prêtres et les scribes semblent n’avoir aucune difficulté à trouver le passage du prophète Michée qui annonce que c’est de Bethléem en Juda que sortira le chef qui sera le berger du peuple.

La tragédie, c’est qu’ils savaient tout. Ils savaient ce que Dieu avait fait et ils savaient ce qu’il ferait. Ils savaient aussi ce qu’il ne pouvait pas faire. Un jour, les pharisiens interpelleront un de leurs collègues, Nicodème, en lui disant : « Cherche bien et tu verras que de Galilée il ne sort pas de prophète » (Jean 7 52).

Ce qui a empêché la majorité des juifs du premier siècle de recevoir la nouveauté de Dieu, c’est un certain rapport aux Écritures. À leurs yeux, cette nouveauté était impossible. Leur piété et leur foi avaient rendu Dieu prisonnier des Écritures. Prisonnier de sa propre révélation. Tout avait été donné : la Loi, l’élection, l’alliance, le temple. Qu’est-ce qu’on aurait pu attendre encore?

C’est peut-être cela, le « voile » dont parle Paul dans la deuxième aux Corinthiens : si le Christ le fait tomber, comme il écrit, c’est parce qu’il révèle un Dieu qui peut toujours faire du neuf. Qui vient toujours librement nous surprendre.

Ce que Paul décrit comme un voile sur les yeux dans la lecture de l’Ancien Testament, l’évangéliste Jean, lui, le compare à un aveuglement : « Je suis venu dans le monde pour que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles », dit Jésus. « Les pharisiens qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Est-ce que, par hasard, nous serions des aveugles, nous aussi? » Jésus leur répondit : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché. Mais à présent, vous dites ‘Nous voyons’ : votre péché demeure » » (Jean 9 39-41).

Nous venons d’entrer dans l’année où l’on soulignera le cinquième centenaire de la Réforme. Le retour aux Écritures a constitué le pivot central de ce grand moment historique. Sola Scriptura, l’Écriture seule, c’est bien un des piliers de la Réforme.

Le récit des Mages nous lance à tous un avertissement : attention à la tentation subtile de limiter la liberté de Dieu en la confinant à l’un des moyens par lesquels sa grâce vient vers nous. Bien sûr, cette grâce nous vient dans le baptême et dans la Cène. Bien sûr, cette grâce nous vient dans l’Écriture. Bien sûr, cette grâce a en nous le visage de la foi. Mais si Dieu avait du neuf à nous faire voir, saurions-nous le reconnaître?

Nous savons tous comment certains se crispent sur la littéralité des textes bibliques. Pour eux, ce qui est écrit est écrit. Tout est dit. Tout est là. Pour d’autres, dont nous cherchons à être dans notre Église, le texte biblique est plutôt un témoin. Une trace. Un moyen par lequel nous pouvons nous familiariser avec la voix de Dieu pour la reconnaître quand elle se fait entendre de manière neuve, souvent à la faveur d’un changement culturel et historique.

Car oui, l’Esprit de Dieu fait toujours du nouveau. Quand le prophète Ésaïe dit : « Ne vous souvenez plus des premiers événements, ne ressassez plus les faits d’autrefois. Voici que moi je vais faire du neuf qui déjà bourgeonne; ne le reconnaîtrez-vous pas? » (43 18-19), il ne parle pas seulement de ce que Dieu fera pour mettre fin à l’Exil à Babylone. Il parle de manière voilée de ce que nous appellerons la Nouvelle Alliance en Jésus. Il parle d’un Dieu qui fait et fera toujours du nouveau à nos yeux. Jésus nous a promis que l’Esprit nous conduirait vers l’entièreté de la vérité (Jean 16 13). Et il le fait, de manière parfois dérangeante ou du moins déconcertante, au rythme de notre histoire. Rappellons-nous quelques exemples.

Pendant plus de 1500 ans, les chrétiens se sont contentés de suivre les recommandations que Paul et Pierre faisaient aux maîtres et aux esclaves des différentes communautés du 1er siècle, jusqu’à ce qu’ils comprennent que l’esclavage était contraire à la volonté de Dieu, le Père universel. Autre exemple : aujourd’hui, nous considérons que tous les êtres humains, puisqu’ils sont tous créés à l’image et à la ressemblance de Dieu et sauvés par le Christ, ont aux yeux de Dieu la dignité d’enfants qui lui sont très chers. D’autres exemples, plus près de nous : nous avons une femme pour pasteure. Nous acceptons à la table du Seigneur les personnes divorcées qui sont entrées dans une nouvelle vie de couple. Nous accueillons pleinement, comme des frères et des sœurs, aussi bien les personnes homosexuelles que les personnes hétérosexuelles, tout comme les personnes transgenre.

Ces nouvelles façons de voir et de vivre, on peut les estimer en contradiction avec tel ou tel texte de la Bible. Mais on peut aussi admirer comment l’Esprit nous fait entrer dans une compréhension plus profonde et plus juste de la volonté et de l’amour de Dieu, comme de l’universalité du salut réalisé en Jésus.

Il me semble que la tragédie que met au premier plan le récit de la visite des Mages à Jérusalem nous invite à un rapport très humble avec l’Écriture. Il s’agit d’une attitude spirituelle essentielle grâce à laquelle nous ne possédons pas l’Écriture, c’est elle qui veut nous posséder. Une attitude spirituelle qui nous empêche d’être dans la grâce à la manière de propriétaires, mais plutôt à la manière de récipiendaires toujours étonnés.

Cette humilité peut se traduire de multiples façons. Dans le réflexe de l’étude et de la réflexion, par exemple. Ou encore dans la prière d’illumination que nous gagnerions toujours à faire avant d’ouvrir la Bible. Ou dans le partage que nous faisons avec d’autres, en Église, comme par exemple celui que nous aimons nous accorder à 10h45 après notre moment de fraternisation autour d’un café.

Ce n’est pas par le chemin de l’Écriture que Dieu a voulu se manifester aux mages, mais par celui d’un astre inattendu. Ouvrons-nous, nous aussi, à l’inattendu de Dieu pour que comme les mages, « à la vue de l’astre, nous éprouvions une très grande joie » (Matthieu 2 10).

Par Paul-André Giguère

 

LECTURES BIBLIQUES

Esaie 43, 15-19

2 Corinthiens 3, 6-18

Matthieu 2, 1-12

 

Paul-André plus petit

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