L’esprit sectaire

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Paul-André plus petitChaque fois que je lis les évangiles, je pense à ceux et celles pour qui les évangélistes les ont écrits. Comme tout le monde, comme nous, ils aimaient entendre les paroles de Jésus qui leur faisaient du bien. Ils vibraient en lisant les récits ou les paroles qui leur faisaient sentir la grandeur de la grâce de Dieu manifestée en Jésus.

Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Afin de l’apprécier pleinement, il est préférable de lire, au préalable, les textes bibliques dans la version TOB, accessibles via le site http://lire.la-bible.net/.

Ils aimaient toutes les traditions, pas encore toutes mises par écrit, qui leur rappelaient la grâce insigne d’avoir été touchés par l’appel de leur maître et d’y avoir répondu en s’engageant à sa suite dans la condition de disciples. « Heureux vos yeux, parce qu’ils voient, heureuses vos oreilles, parce qu’elles entendent : en vérité, je vous le déclare, beaucoup de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu » (Matthieu 13 16-17).

Mais les évangélistes, qui étaient des pasteurs et non des archivistes, savaient que les premiers chrétiens avaient besoin aussi de se faire rappeler les gestes et les paroles qui dérangent. Avec un talent étonnant, Marc excelle à leur faire sentir qu’ils comprenaient moins Jésus qu’ils prétendaient, qu’ils vivaient moins de son Esprit qu’ils s’imaginaient. Il n’est presque pas une page de son évangile où les premiers chrétiens ne sont pas, d’une manière ou d’une autre, ramenés à leur condition première et indépassable : ils sont et doivent rester des disciples, c’est-à-dire des gens en apprentissage parce qu’ils ne comprennent toujours pas grand-chose de la vie nouvelle dans laquelle suivre Jésus les entraîne.

Dans leur conversion vers cette vie nouvelle, que de choses ils avaient, et nous avec eux, à dépasser! Par exemple, l’esprit sectaire.

Nous vivons à une époque où il nous est facile de saisir le côté délétère de l’esprit sectaire. L’islamisme radical, mais aussi le fondamentalisme chrétien ou hindou, ou encore l’extrémisme des ultraconservateurs juifs font peur, avec raison. Ils ont en commun de reposer sur le sentiment de détenir la vérité, toute la vérité, l’unique vérité. D’en avoir le monopole. L’esprit sectaire se nourrit de la croyance hautaine d’être à part, au-dessus de ceux qui ne savent pas, au point de n’avoir pour eux que du mépris ou, dans le meilleur des cas, de la pitié, ce qui n’est pas beaucoup mieux.

Les esprits sectaires s’identifient très souvent à leur maître incontesté et vénéré, comme s’ils étaient un peu lui par procuration. « Maître, nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons en ton nom et nous avons cherché à l’en empêcher parce qu’il ne nous suivait pas. » Remarquez l’inversion subtile : ils ne disent pas que la personne qu’ils dénoncent ne suit pas Jésus, mais qu’elle ne LES suit pas.

Tout au long de l’histoire chrétienne, cette tentation d’identifier l’Église avec le Christ a été constante. Quand une Église, sous son visage institutionnel, se fait magistrale, Mater et magistra, quand elle se présente avec un magistère, elle court le risque de se substituer à l’unique Seigneur. Ce piège s’est refermé sur les chrétiens dès les premières décennies de leur histoire. Je ne sais pas si vous avez remarqué dans la bouche de qui se trouve la remarque : « Maître, nous avons vu quelqu’un… et nous avons cherché à l’en empêcher »? C’est Jean, Jean qui, à un autre moment, indigné de ce que les Samaritains ne les accueillaient pas, avait dit à Jésus : « Veux-tu que nous disions que le feu tombe du ciel et les consume? (Lc 9 54) ». Jean avait alors été réprimandé par Jésus, dit Luc, tout comme il l’est ici vertement : « Ne l’empêchez pas! Car personne ne peut faire un miracle en mon nom et puisse, aussitôt après, mal parler de moi. Qui n’est pas contre nous est pour nous » (Marc 9 39-40). Mais Jean méritait bien le surnom de « fils du tonnerre » que lui avait donné Jésus (Marc 3 17) et il restera incorrigible jusqu’à la fin de sa vie. Tout respire l’esprit sectaire dans ses lettres et dans son évangile. Chez lui, on est soit dans la vérité, soit dans le mensonge; soit dans la lumière, soit dans les ténèbres; soit dans la grâce, soit dans le péché; soit dans le monde, soit dans la communauté des sauvés.

Face à cela, à quelle hauteur admirable se situe Jésus! Marc rappelle comment il ne voulait rien savoir de l’esprit sectaire et a toujours fui ceux qui voulaient le transformer en gourou. Tout son comportement révèle une allergie profonde à l’esprit de séduction. Selon l’étymologie, se-ducere, un séducteur ou une séductrice, c’est quelqu’un qui conduit, qui attire vers lui-même ou elle-même. Jésus, lui, conduisait toujours à Dieu, qu’il appelait son Père. Loin d’avoir été un séducteur, il aura été un maître, un éducateur, de e-ducere, faire sortir de : l’éducateur ou l’éducatrice tire de l’ignorance et des ténèbres, sans doute, mais fait aussi sortir chacun, chacune, de tout esprit de dépendance en poussant chacun, chacune, à aller vers sa propre vérité et sa liberté. Par exemple quand il pose la question « Pourquoi ne jugez-vous pas par vous-mêmes de ce qui est juste? » (Lc 12 57)?

Qui donc était-il pour avoir eu cette largeur de vue, cette ouverture d’esprit, cette perspective si détachée et désintéressée? Seuls les grands spirituels ont un horizon aussi vaste. Je pense à Paul, par exemple, qui eut, comme on le sait, une multitude d’adversaires à l’extérieur mais surtout au sein des premières Églises et qui, pourtant, savait se réjouir de ce que même si des prédicateurs chrétiens tiraient avantage de son absence pour se donner de l’importance et agissaient « par envie et par rivalité », « il reste que de toute manière, avec des arrière-pensées ou dans la vérité, Christ est annoncé, et je m’en réjouis et continuerai de m’en réjouir » (Philippiens 1 15-18).

La largeur de vue de Jésus et de Paul, on la trouvait déjà chez Moïse, qui s’était opposé à ceux qui voulaient arrêter Eldad et Médad de prophétiser parce qu’ils n’étaient pas venus au rassemblement qu’il avait convoqué et au cours duquel l’Esprit de prophétie avait été déversé sur les anciens. « Ah! Si seulement tout le peuple de YHWH devenait un peuple de prophètes sur qui YHWH aurait mis son esprit! » (Nombres 11 29)

Ce rêve de Moïse, la communauté des disciples de Jésus l’a vu réalisé en son sein. Dans son discours le jour de la Pentecôte, Pierre cite le prophète Joël : « Je répandrai mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des songes; oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes, en ces jours-là je répandrai mon Esprit et ils seront prophètes » (Actes 2 17-18 citant Joël 3 1-5). C’est à tous, hommes et femmes, esclaves et citoyens libres, juifs et non juifs, que le don de l’Esprit est octroyé également au baptême.

Il y a bientôt 500 ans, la tradition protestante, dans sa réaction au cléricalisme et au culte du pouvoir autoritaire et centralisateur de l’Église romaine d’alors, peut être fière d’avoir remis au premier plan la réalisation de la vision de Moïse, de Joël et de Jésus. Mais l’histoire du protestantisme est aussi, quel paradoxe!, très fortement marquée par l’esprit sectaire, qui a donné naissance à une multitude d’Églises opposées les unes aux autres, convaincues d’être les authentiques chrétiens, d’avoir la seule bonne lecture de la Bible et les seules pratiques conformes à la foi.

Oui, une grâce nous a été donnée, et nous la recevons avec joie. Et nous en témoignons. Mais elle ne nous appartient pas. Elle ne nous donne aucune supériorité. Elle ne fait pas de nous des privilégiés au-dessus des autres, et dans la liberté de son amour universel, Dieu la donne sous d’autres formes à d’autres « qui ne nous suivent pas », qui ne sont pas des nôtres.

Notre petite communauté se demande comment témoigner de cette grâce ici, à Québec, en 2015-2016. La parole de Jésus entendue ce matin nous met en garde contre la tentation de vouloir faire d’abord du recrutement pour grossir nos rangs en faisant valoir la richesse de notre tradition libérale et de notre caractère inclusif, en un mot ce qui est notre grâce et notre fierté, comme si cela nous donnait un avantage et une supériorité sur d’autres. La parole de Jésus arrive à point nommé pour nous rappeler la liberté souveraine de l’amour de Dieu qui donne sa grâce à qui il veut, comme il veut, par qui il veut. Voilà la bonne nouvelle que nous accueillons dans nos vies, que nous célébrons dans notre culte, et dont nous témoignons dans la Cité.

Par Paul-André Giguère

 

LECTURES BIBLIQUES

Nombres 11 25-29

Marc 9 38-41

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