Le paradoxe de Jérusalem

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La semaine sainte… Pâques… À vrai dire, je n’en ai pas grand souvenirs de jeunesse. Ce dont je me souviens le plus à l’évocation de ces festivités « toutes chrétiennes » se limite en fait aux visites chez grand-maman et les fameuses poules en chocolat. Je dis ça, mais, en fait, c’était aussi le temps d’écouter « l’bon Dieu » à la télévision. Ah, ce merveilleux film Jésus de Nazareth qui passait à Télé-Québec le midi. 6 heures d’écoute au total avec le beau Jésus aux cheveux blonds et aux yeux bleus ! Mais pour ma part, je lui ai toujours préféré son pendant plus « foufou » Jesus Christ Superstar.

Est-ce qu’il y en a ici qui ont déjà écouté cette comédie musicale là ? Dans un cas affirmatif, j’aimerais qu’on se souvienne d’une scène que je vais vous décrire très brièvement et qui correspond à notre lecture de l’Évangile. Souvenez-vous ou imaginez-vous : sous les yeux des scribes et des pharisiens qui complotent contre lui, Jésus arrive à Jérusalem en grande pompe. Le maître est alors tout en joie, porté par la foule. Cette dernière chante le traditionnel « Hosanna, Superstar » tout en lui présentant ses vêtements et le rafraîchissant de ses rameaux.

Ce serait un triomphe absolu si ce n’était la foule qui –  comme un lapsus tiré des profondeurs –  prononça quelques mots de trop. Quelques mots qui balayèrent toute la joie du visage de Jésus et qui, tout jeune, me perturbèrent profondément. « Hey JC, JC won’t you fight for me ? Wont you die for me ? – Heille, Jésus, Jésus, pourquoi ne te battrais-tu pas pour moi ? Pourquoi ne mourrais-tu pour moi ? » Quelle étrange chose à dire. Ça tue l’ambiance, ça pose question sur le rapport qu’on a avec lui. Serions-nous tentés d’imposer à Jésus nos désirs de grandeur et, dans une logique sacrificielle, nos propres fautes ? Que signifie pour nous l’entrée à Jérusalem ainsi que le fonds de notre joie aux accents monarchiques ?

Mes amis, si je vous ai fait une petite digression avec Jesus Christ Superstar, c’est avant tout pour souligner ce paradoxe : le contraste qui existe entre le ministère de Jésus et la perception que nous avons de lui. Quand on pense à, quant on voit à la télévision la mise à en scène de ce récit, on s’imagine volontiers les beaux rameaux, les vêtements étendus sur la route. Une foule en extase qui accueille son Seigneur et son sauveur. On pourrait même s’imaginer un Jésus couronné de gloire, prêt à terrasser tous les vilains du monde au nom de son titre de souverain. Tiens donc ! Quelle manière étrange d’accueillir Jésus qui n’a jamais revendiqué quelque couronne que ce soit. Bien au contraire de nos idées de monarchie, il s’approche plutôt de Jérusalem dans un abaissement total. Un bon exemple de cette humilité de prophète en guenilles serait ce moment où Jésus envoie chercher un ânon. C’est un geste tout bête de la part de Jésus, mais un geste qui nous invite comme disciples à nous questionner sur son identité ainsi que la perception que nous avons de lui.

« Allez au village qui est devant vous : dès que vous y entrerez, vous trouverez un ânon attaché que personne n’a encore monté. Détachez-le et amenez-le. Et si quelqu’un vous dit : “Pourquoi faites-vous cela ?” répondez : “Le Seigneur en a besoin et il le renvoie ici tout de suite.” »

Déjà, ce n’est pas très digne d’un roi d’emprunter un ânon, ne trouvez-vous pas aussi ? Comme il le mentionne lui-même, Jésus n’exige pas qu’on lui donne un ânon, mais que les disciples aillent emprunter la bête pour ensuite l’a ramené à son propriétaire. Un ânon… que personne n’a encore monté. Cette consigne de Jésus m’a toujours laissé songeur. Pourquoi un ânon « que personne n’a jamais monté » ? On pourrait bien sûr y voir une référence à une prophétie d’Ésaïe où le roi à venir monterait le petit d’une ânesse. Toutefois, outre cette allusion tout à fait juste, j’aime à croire que cette consigne nous invite surtout à l’engagement. Si on considère un ânon que personne n’a encore monté, on peut aussi considérer que cet ânon-là peut servir à nouveau. Jésus sera le premier à monter sur la bête… mais peut-être pas le dernier à entrer à Jérusalem ainsi. Il est probablement question ici à mon sens d’une passation du ministère de Jésus, ministère qui nous reviendrait finalement à nous. Disciples appelés à nous questionner nous réformer dans nos propres perspectives.

Cette entrée s’effectuant en toute humilité à de quoi contester nos à-priori. Alors que la passion de Jésus s’annonce à l’horizon et que le maître nous invite à nous engager, nous ne sommes pas sans incarner une certaine ambiguïté. On y revient, finalement, à ces fameux couplets de Jesus Christ Superstar : « Hey JC, JC won’t you fight for me ? Wont you die for me ? – Heille, Jésus, Jésus, pourquoi ne te battrais-tu pas pour moi ? Pourquoi ne mourrais-tu pour moi ? » Ce lapsus des figurants est aussi le nôtre qui confessons peut-être, inconsciemment ou pas, notre désir de prendre les armes contre nos empires. Renverser par la force, la révolution, le sang s’il le faut. Pas de crainte, on envoie le roi au massacre pour nous soulager la conscience.

Au risque de paraître choquant, l’entrée triomphale à Jérusalem à ce quelque chose d’une ironie, si ce n’est peut-être pas pour dire d’une caricature de nous-mêmes faisant de Jésus ce qu’il n’est pas de prime abord. Ce contraste entre Jésus et la royauté que nous lui imposons parfois par nos actions, nos perspectives et nos pratiques peut nous amener à réfléchir. Quelle est notre compréhension de son ministère… et du nôtre ? Voilà une question essentielle alors que débutons la semaine sainte, moment se terminant par la Pâques et l’envoi en mission. Merveilleusement représenté dans un texte comme dans une comédie musicale, le paradoxe de l’entrée triomphale à Jérusalem peut nous sauter aux yeux.

Bien que nos ambiguïtés toutes humaines peuvent nous rendre mal à l’aise en ce moment même, souvenons-nous d’un fait indéniable : l’amour que porte Jésus pour nous. Un amour qui perdure malgré nos maladresses, nos jugements et les fausses impressions liées à notre finitude tout humaine. Jésus nous aime d’un amour divin. Celui d’un maître pour ses disciples qui, par lui et en lui, sont appelé à devenir comme lui : non pas rois ou reines, mais serviteurs et servantes, messagers et messagères de la Parole. Ne désespérons pas ; nous avons encore de la route à faire avec notre maître et des choses à apprendre de lui. Embrassons le maître, acceptons nos ambiguïtés comme elles sont. Jamais elles ne nous empêcheront de goûter à son pur amour.

Bon début de semaine sainte à toutes et à tous.

 

LECTURES BIBLIQUES

Psaume 118, 1-2, 19-29

Marc 11, 1-11

Ésaïe 50, 4-9a

Philippiens 2, 1-11

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