Le courage de péter sa coche

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

Imaginez la scène. Jésus fouet à la main, chassant bœufs et brebis1, renversant les tables des changeurs et dispersant leur argent. Quel effet cela vous fait-il de voir Jésus péter sa coche comme ça ? Ça me fait du bien, moi, d’imaginer Jésus péter sa coche devant l’injustice sociale et l’hypocrisie religieuse. Il y a là de quoi m’encourager, moi. Pas plus tard qu’hier matin, j’ai lu un article selon lequel le PDJ de Kellogg aurait déclaré que « des céréales au souper représentent « un choix fantastique pour les consommateurs qui sont sous pression financièrement. » Je me suis écriée : « Mais ça a pas d’allure ! Quel *&*&?%) » Je vous épargne le langage qui pourrait ne pas convenir à certains auditeurs/lecteurs. Des montées de lait comme ça, ça arrive assez souvent chez nous. J’ai un côté un peu colérique. J’aime ça, penser que Jésus pouvait s’emporter parfois. Et je sais que je ne suis pas la seule. Vendredi dernier à La Parole sur le pouce, plusieurs personnes disaient apprécier cette « montée de lait » chez Jésus.

Mais la colère, elle, n’est-elle pas à proscrire ? Se laisser emporter par la colère, n’est-ce pas laisser le diable (celui qui divise) avoir emprise sur nous ? La colère, ce n’est pas péché, ça ? Je connais des gens, et surtout des personnes croyantes, qui le pensent. Elles pensent que parce que Jésus nous dit de nous aimer les uns, les unes les autres, la colère est à proscrire. Mais ce n’est pas ce que la Bible dit.

Dans l’extrait de la Lettre aux Éphésiens que nous venons d’entendre, il est écrit : « Êtes-vous en colère ? ne péchez pas ». (La TOB). Dans une autre traduction (BFC) on peut lire : « Mettez-vous en colère, mais ne péchez pas. » (Éphésiens 4, 26). Cela laisse entendre qu’on peut s’attendre à ce que des « bons chrétiens » se mettent en colère parfois. En fait, ce n’est pas la colère qui est péché mais plutôt certains comportements et attitudes que la colère peut susciter en nous. Ce n’est pas la colère en soi qui est péché. Toutefois, ce que nous faisons… ou ce que nous ne faisons pas… de notre colère… ça… ça peut permettre au diable d’avoir emprise sur nous. Faut pas laisser trainer ça n’importe où, n’importe comment « Que le soleil ne se couche pas sur votre ressentiment. »

Notre Dieu est Amour… et qui dit Amour dit relation. Dieu est Père, Fils et Saint-Esprit, c’est-à-dire qu’avant toute chose, Dieu est relation. Nous sommes faits à son image. Nous sommes faits pour vivre en relation – avec Dieu et avec les autres. Vu sous cet angle, la colère est donc un péché lorsqu’elle détruit nos relations, lorsqu’elle érige des barrières entre Dieu et ses enfants, plutôt que de bâtir la communauté et contribuer au bien commun.

La colère que nous voyons chez Jésus ce matin est un autre type de colère, me semble-t-il. Ce matin, Jésus est à Jérusalem à l’approche de la fête de Pâques un moment où, selon la tradition, les Juifs devaient venir offrir un sacrifice à Dieu. La racine du mot « sacrifice » veut dire « s’approcher » et selon la tradition, on ne s’approchait pas de Dieu – on n’entrait pas chez lui – sans apporter un petit quelque chose ! Si on apporte une bouteille de vin, un dessert, ou un petit présent pour nos voisins quand ils nous invitent chez eux, c’est juste normal d’apporter un p’tit quelque chose chez Dieu, n’est-ce pas ? Certains raisonnaient que, comme Dieu est parfait, il serait logique de ne se présenter au temple qu’avec une offrande parfaite, un animal sans tache (pas de patte cassée, pas de plumes retroussées). Il fallait donc des vendeurs sur place – pour fournir – à des prix souvent prohibitifs – des offrandes certifiées « acceptables ». Et comme la monnaie romaine n’était pas acceptée au temple, (pas de face de César là où Dieu interdit des images de faux dieux). Il fallait aussi des changeurs – et le taux de change n’avantage généralement pas les touristes, c’est bien connu !

Les vendeurs et les changeurs dans le temple profitaient littéralement des autres. De plus, plutôt que de favoriser la proximité et l’intimité du plus grand nombre avec Dieu, ces escrocs avaient érigé des barrières entre Dieu et ses enfants, des barrières que seuls les plus fortunés pouvaient espérer franchir.

Si vous pensez que c’est uniquement de l’histoire ancienne ça, n’oubliez pas qu’il n’y a pas si longtemps, les gens payaient pour réserver leur banc à l’Église. Et même dans l’Église Unie, les riches, les notables, avaient les meilleures places en avant. (Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on paierait plus cher les places en arrière. C’est là où les gens préfèrent s’assoir 😊).

Dans l’Évangile de ce matin, Jésus nous fait toute une scène… Il s’insurge contre ceux qui essaient de faire accroire que l’amour de Dieu, ça s’achète… comme au temps des indulgences – ce qui me fait penser que ce n’était pas Luther le premier Protestant, mais bien Jésus lui-même ! La racine du mot « protestant » veut dire « se tenir debout ». Jésus s’est tenu debout. Il a dénoncé les pratiques abusives de son temps. Ce matin, il dénonce l’injustice et le péché de ceux qui soutenaient le temple en tant qu’institution bâtie à coup de marges de profit.

Mais la colère chez Jésus n’est pas une simple montée de lait… comme lorsque je m’écrie en lisant les nouvelles. Il y a des pétages de coches qui sont stériles… qui mènent à rien… ou pire qui sont destructeurs. (Heureusement, j’ai assez de retenu pour ne pas lancer ma tablette comme je pouvais lancer mes jouets lorsque j’étais enfant et en colère.)

En revanche, péter sa coche peut être constructeur. Ça peut parfois faire avancer les choses. C’est ce que l’on voit chez Jésus ce matin, me semble-t-il. La colère de Jésus annonce et enclenche la transformation de la relation entre Dieu et ses enfants. La colère de Jésus annonce et enclenche une autre forme de sacrifice, une nouvelle façon de s’approcher de Dieu. « Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai. » Ce que les autorités religieuses ne comprenaient pas, les disciples ont compris longtemps après : le monde nouveau commence avec la mort et la résurrection de Jésus. Ça prendra du temps. (Je le dis souvent, le Dieu n’est pas le temps des humains. Comme c’est difficile pour nous qui nous attendons souvent à des réponses et des résultats instantanés !) Ça prendra du temps mais c’est tout de même le début de la fin du temple avec ses vendeurs de bœufs et de brebis et ses changeurs. Nous pouvons nous rapprocher de Dieu en Jésus. La relation avec Dieu se vit non pas dans l’accomplissement de rites mais dans ce que nous vivons dans l’intimité du cœur.

C’est cette intimité avec Dieu qui, par la grâce, convertit les cœurs et donne courage… même dans des situations apparemment perdues d’avance. En Jésus Christ, Dieu nous donne le courage d’aller au-delà de nos montées de lait, de nos indignations. Par la grâce de Dieu, à l’instar de Jésus, nous avons tout ce qu’il nous faut pour aller jusqu’au bout de nos convictions.

Fini le temple… mais pas les sacrifices, par contre. Se tenir debout pour nos convictions, ça peut nous rendre impopulaires, c’est le moins qu’on puisse dire. Ça peut nous attirer la colère des autres. Jésus a eu le courage de péter sa coche… et il a fini par en payer le prix. Soyons sans crainte. Dieu n’a pas besoin qu’on paie littéralement de sa vie pour s’approcher de lui. Mais il y a peut-être une partie de nous, une manière de vivre ou de faire à sacrifier pour aller jusqu’au début d’une nouvelle façon de vivre et de faire… pour la gloire de Dieu et le bien commun.

Ce matin, en Jésus, nous voyons toute l’énergie et la violence de la colère canalisée vers une transformation vivifiante, salvifique même. Oui, la colère peut nous sauver… quand elle nous aide à nous tenir debout dans le refus de nous laisser abattre, quand elle nous sort du repli sur nous-mêmes pour nous permettre de nous approcher de Dieu et de nous ouvrir aux besoins des autres.

Saint-Augustin disait « L’espérance a deux enfants très beaux : ils s’appellent la colère et le courage… la colère devant l’état actuel du monde… et le courage de faire tout en son pouvoir pour s’assurer que les choses ne demeurent pas telles quelles sont. Frères et sœurs, par la grâce de Dieu et à l’exemple de Jésus, ayons le courage de péter notre coche. Ça prendra le temps que Dieu prendra… mais rien ne sera plus pareil. Grâces soient rendues à Dieu. Amen.

1 Dans son commentaire sur le Nouveau Testament, Antoine Nouis souligne que Jésus ne chasse que les bœufs et les brebis à coup de fouet. Mot à mot, Jean 2,15 dit : « tous il chassa hors du temple et les moutons et les bovins, et les changeurs il dispersa les pièces et renversa et les tables, il renversa, ce qui laisse entendre que le fouet à cordes a servi à chasser les animaux et non les changeurs. Les seules victimes de sa violence physique sont le moutons et les bovins qui ont la peau épaisse. » A. Nouis, Le Nouveau Testament : Commentaire intégral verset par verset, vol. 2, Olivétan / Salvator, 2018, p. 604.

LECTURES BIBLIQUES

Éphésiens 4, 23-31

Jean 2, 13-22

Image : Domaine public, Wikimedia Commons

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