J’aimerais vous parler de quelqu’un que j’aime

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

J’aimerais vous parler de quelqu’un que j’aime. De manière claire mais pudique, juste tout en respectant le mystère, sans gêne et pourtant avec retenue. Je ne le ferai pas en vous disant son nom et les différentes manières dont on a l’habitude de le désigner, ou encore en décrivant ses qualités. J’ai eu l’intuition qu’une bonne manière de vous en parler serait de recourir à des verbes qui le décrivent quand c’est lui qui en est le sujet.

Le premier verbe, c’est « être touché ». J’ai observé que quand il regarde les gens, il est facilement affecté, ému, bouleversé même, parfois. À ses yeux, les humains font pitié parce qu’ils vont dans toutes les directions, comme sans boussole, mais aussi parce qu’ils sont si vulnérables à des pièges qui tendent à les enfermer dans toutes sortes de dépendances et de compulsions et des formes subtiles de manipulations et de conditionnements. Dans le langage de sa culture et de son époque, il disait qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger (Marc 6,34). Quand il regarde les gens, il prend à cœur ce qu’il voit, et ça vient le chercher, comme on dit.

Le deuxième verbe, c’est « appeler ». Appeler par son nom. C’est plutôt rare, quelqu’un comme lui pour qui chacun est important, quelqu’un qui est tellement attentif et présent que personne n’est sans nom, anonyme, en quelque sorte. Je pense à la fois où il s’est retourné quand une femme a frôlé son vêtement et s’est  sentie mieux à son contact : il a voulu un échange, un dialogue qui a créé un lien personnel entre eux (Luc 8,43-48). Une autre fois, il a appelé par son nom un homme qui était grimpé dans un arbre pour le voir passer sur la rue (Luc 19,5). Comment ne pas être ému lorsqu’à une grande amie qui s’adressait à lui sans le reconnaître, il dit simplement : Marie (Jean 20,16)? Alors oui, celui que j’aime m’a appelé moi aussi, par mon nom. J’existe pour lui dans ce que j’ai de plus personnel.

Je l’aime aussi parce que son habitude, c’est de m’emmener dehors. Il me « fait sortir ». Combien de fois il m’a tiré de ma tendance à me replier sur moi-même. Il m’arrache à mes peurs et à mon désir paresseux de confort. Il m’a révélé que je n’étais pas prisonnier des conditionnements dans lesquels la vie m’a façonné. Il m’apprivoise à ma liberté, il me permet d’aller et de venir.

Et puis, comme l’a écrit Christian Bobin, il est « l’homme qui marche ». « Il marche devant ». Un jour de grâce, il m’a dit : « Suis-moi ». Marche derrière moi. Là où je t’emmènerai. N’aie pas peur : c’est « vers les eaux du repos, vers des près d’herbe fraîche » (Psaume 23,2). Vers la croix aussi, c’est-à-dire une manière de vivre qui conduit à une manière de mourir. Marchant devant moi, il me dit : « qui vient à ma suite ne marche pas dans les ténèbres, mais aura la lumière qui conduit à la vie » (Jn 8,12).

Que vous dire encore de celui que j’aime? Ah oui, ceci : il me « connaît ». Pas comme on connaît les coordonnées de quelqu’un : nom, adresse, date de naissance, nom de jeune fille de la mère… Il me connaît comme on connaît quelqu’un qu’on aime. Comme un familier. Un membre de la famille. Comme il aime le dire lui-même, il me connaît « comme mon Père me connaît et comme je connais mon Père ». C’est une question d’intimité. Profonde.

Enfin, un dernier verbe, il s’est « dessaisi de sa vie » pour moi. J’ai toujours eu pas mal de misère à comprendre ça. Malgré cela, je me reconnais depuis très longtemps dans une phrase de Paul dans une de ses lettres : « Ma vie humaine actuelle, je la vis dans la foi au fils de Dieu qui m’a aimé et s’est dessaisi de sa vie pour moi : (Ga 2,20).

Voilà l’évangile du bon pasteur, qui dit en verbes forts ce qu’est pour moi cet homme que j’aime : quelqu’un qui prend les choses à cœur, qui m’appelle par mon nom, qui me fait sortir et me libère, qui marche devant moi, qui me connaît intimement et me fait entrer dans son intimité, et, surtout, qui m’a aimé jusqu’à se dessaisir de sa vie pour moi. Pour nous.

Ce que j’ai dit de lui à mon sujet, à partir de mon expérience spirituelle et à l’aide des verbes de l’évangile d’aujourd’hui, on peut bien sûr le dire à notre sujet à tous. Il est touché par nous. Il nous appelle chacun, chacune par notre nom. Il nous emmène dehors, à l’air libre, hors de nos enfermements, même de nos tombeaux. Il marche devant nous et nous guide. Il nous connaît parfaitement comme il est connu lui-même par Dieu, dans une profonde et indicible expérience de communion. Et puis, il s’est dessaisi de sa vie pour nous.

Il faut que je vous dise encore qu’en marchant derrière celui que j’aime, j’apprends peu à peu à devenir comme lui. Parce que je l’aime, j’apprends à prendre soin des autres, à sa manière à lui. Je me surprends à me relier aux autres en aimant les appeler par leur nom, en reconnaissant à chacun, à chacune, son unicité. Sa valeur. Son irréductible originalité. En suivant ainsi celui que j’aime, j’apprends à refuser tout ce qui conditionne et emprisonne ceux et celles qui m’entourent et je combats, à ma manière et selon mes possibilités, tout ce qui enferme et emprisonne. Inspiré par celui que j’aime, il m’arrive aussi parfois de marcher devant, un peu aussi comme Ariane dans le labyrinthe, pour orienter discrètement quelqu’un d’autre vers une issue. Celui que j’aime nourrit en moi le désir de bien connaître les autres, sans m’arrêter aux apparences, aux masques et aux façades derrière lesquels nous nous protégeons tous. Enfin, il m’inspire de m’oublier pour donner de mon temps, de mon attention, de mes compétences, bien que je n’ose pas penser que je serais capable d’aller jusqu’à me dessaisir de ma vie pour les autres, connus ou inconnus.

Voilà. Je me reconnais dans ceux dont parle Pierre dans sa première lettre : « Sans même l’avoir vu, vous l’aimez, vous mettez votre foi en lui sans même le voir encore. C’est pourquoi vous débordez d’une joie inexprimable » (1 P 1,8).

Celui que j’aime est mon berger. Rien ne me manque, ma coupe déborde (Ps 23).

 

LECTURES BIBLIQUES

Jean 10,1-18

Jean 21,15-17

Image : Atelier Mickael Greschny – https://www.greschny.com/

 

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