Du déni à l’espérance

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

Sculpture de Zenos Frudakis à Philadelphie

Voilà des années que nous parlons de la nécessité de « faire Église autrement ». Mais comme nous ne savons pas exactement ce que serait cet autrement, pour l’essentiel, on a continué à faire comme avant. Mais voilà que nous ne pouvons même plus faire comme avant. Comme les habitants de Jérusalem et du pays de Juda au temps de Jérémie, nous avons été arrachés à la sécurité de nos habitudes. Cela nous a été imposé. Nous ne pouvons plus fraterniser comme avant, nous ne pouvons plus célébrer comme avant, nous ne pouvons même plus, comme avant, vivre la Sainte Cène. Comment ne pas lancer à Dieu cette question : « Quand pourrons-nous te rendre un culte comme avant, chanter tes louanges, fraterniser entre nous ? C’est pour quand le retour à la normale ? »

Notre présent est difficile et notre avenir nous apparaît incertain. Mais nous avons une mémoire sainte.

Les textes de Jérémie que nous méditons aujourd’hui mettent en relief l’affrontement de deux espérances. L’espérance des déportés tournait son regard vers l’arrière, alors que celle de Jérémie portait son regard au-delà de ce qui était visible et prévisible dans l’avenir immédiat. Pour les premiers, la fin de la crise serait le rétablissement de façons de vivre et de faire en gros semblables à ce qu’ils avaient connu. Pour Jérémie, l’issue de la crise demeurait inconnue. Les premiers avaient un espoir aux contours bien définis, mais ils étaient profondément inquiets et tourmentés. Jérémie avait une espérance aux contours très imprécis, mais il était extraordinairement serein. Quel est donc la clé de cet étrange paradoxe ?

La grandeur de Jérémie plongé dans la crise, c’est de refuser le déni. Acceptant positivement un présent qu’il ne peut changer, il consent à ce qui est. Il dit aux habitants encore à Jérusalem comme aux déportés à Babylone : vous ne pouvez pas stopper le mouvement de l’histoire. L’empire babylonien s’étend sur le monde, ne rêvez pas d’un vaccin qui pourrait l’arrêter. Plutôt que de retarder l’inévitable, vivez la crise en faisant confiance au Dieu des promesses. Jérémie écrit donc à la première vague de déportés : pensez à bâtir l’avenir. Établissez-vous, adaptez-vous, faites-vous une nouvelle vie.

Ni Jérémie, ni aucun de ses contemporains n’ont vu l’extraordinaire mutation apportée par la crise de l’Exil. Mais les destinataires de sa lettre ont si bien bâti des maisons, planté des jardins et eu des enfants, que son espérance s’est réalisée au-delà de toute attente. Ce fut l’œuvre de la deuxième génération des exilés, celle qui n’avait jamais connu Jérusalem, qui n’arrivait pas à se représenter ni le temple, ni la liturgie qu’on y célébrait. S’ils parlaient l’hébreu à la maison, leur langue d’usage n’était plus celle de leurs parents. Ils avaient toujours respiré l’air d’une autre culture que celle de leurs parents. Ils avaient grandi en contact avec d’autres jeunes dont les parents, déportés eux aussi à Babylone, étaient venus des quatre coins du monde.

Eh bien, cette génération, qui n’avait jamais mis les pieds au temple, offert de sacrifice ou fait de pèlerinage, a appris à vivre de la Parole proclamée, méditée et célébrée. C’est elle qui a créé les synagogues, substituant la petite communauté à la foule qui emplissait le temple. Conservant les seules traditions qu’ils pouvaient respecter, comme le sabbat, la circoncision et certains interdits alimentaires, les exilés ont donné au judaïsme les signes de sa différence. C’est eux qui, les premiers, ont proclamé qu’il y a un seul Dieu, créateur du ciel et de la terre, maître de toutes les nations et de tous les peuples. C’est à eux que nous devons l’admirable récit de la création en six jours. C’est eux qui, ayant fait l’expérience de la souffrance des justes, ont rédigé et accueilli les dialogues courageux du livre de Job ou les chants confiants du Serviteur souffrant.

Alors nous… Nous ne savons pas ce que sera le monde post-pandémie, ni l’Église post-pandémie, et pour la plupart d’entre, nous ne le connaîtrons sans doute pas. Mais notre foi nous assure que Dieu tire la grâce du péché, la lumière des ténèbres et la vie de nos morts. La pandémie m’a rappelé cette réflexion d’un théologien péruvien : « On vit un temps d’une extrême beauté. Moi, je ne changerais pas, parce qu’on est acculé à la profondeur. » C’est dans la profondeur que se trouvent les sources de l’espérance. On espère à cause de quel Dieu est le Dieu de Jérémie, le Dieu de Jésus, notre Dieu. C’est celui qui ne ramène jamais en arrière mais tire toujours par en avant. C’est le Dieu qui a arraché Abraham à ses traditions et habitudes et l’a lancé à sa rencontre vers un pays inconnu. C’est le Dieu qui a soustrait les Israélites à une Égypte où ils se trouvaient, ma foi, assez bien, pour les précipiter à sa rencontre dans un désert terrifiant où, de familles et de clans cloisonnés, ils sont devenus un peuple.

Le Dieu de notre espérance, c’est celui qui, ayant accueilli Jésus mourant dans la nuit, a transformé sa mort en vie pour toute l’humanité. Et nous pouvons alors nous étonner, en paraphrasant les mots de Didier Rimaud : « Qui donc est Dieu, qui tire de nos morts notre renaissance ? »

LECTURES BIBLIQUES

Jérémie 29, 1.4-11

Jérémie 24, 1a.5b-7

 

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