Désirer est dans notre ADN

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

Photo : P.-A.G.

L’avez-vous remarqué? Ces paroles de Jésus comprennent deux verbes à l’impératif : VEILLEZ et TENEZ-VOUS PRÊTS. Cet impératif suggère une insistance. C’est plus qu’une simple suggestion ou un conseil. En quoi donc veiller ou se tenir prêt est si important, voire essentiel?

Nos premières sœurs, nos premiers frères chrétiens vivaient dans la joyeuse attente d’un retour du Christ. Cette espérance est fortement préservée dans la manière dont les communautés de foi de tradition catholique romaine célèbrent leur culte. Après la prédication, ils reprennent la confession de foi des apôtres : « Le troisième jour, Jésus est ressuscité des morts. Il est monté aux cieux, est assis à la droite de Dieu le Père tout-puissant, d’où il viendra juger les vivants et les morts ». Après le récit de la Cène, ils chantent « Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ton retour dans la gloire. » Ils peuvent aussi dire  à ce moment: « Nous rappelons ta mort, Seigneur ressuscité, et nous attendons que tu viennes. » ou encore « Gloire à toi qui étais mort, Gloire à toi qui es vivant, notre Sauveur et notre Dieu : Viens, Seigneur Jésus. » Après le Notre Père, ils prient encore : « en cette vie où nous espérons le bonheur que tu promets et l’avènement de Jésus-Christ, notre Sauveur. » Nous-mêmes, quand nous célébrons la Cène, ne chantons-nous pas : « Christ est venu. Christ est né. Christ a souffert. Christ est mort. Christ est ressuscité. Christ est vivant. Christ reviendra, Christ est là!?

Ces formules, qui sont autant de manières de garder vivante l’invitation de Jésus de « Veiller » et « Se tenir prêt », remontent aux tout débuts de l’Église. Presque tout de suite après le texte que nous venons de lire, Matthieu reprend ces thèmes dans la parabole des dames d’honneur d’un mariage dont certaines se sont tenues prêtes à un retard du futur mari alors que d’autres n’y ont pas pensé. L’arrivée du futur mari signifiera le début de la noce. Ailleurs, après avoir décrit les signes bouleversants dans le ciel et évoqué l’angoisse, l’épouvante, la frayeur et la crainte des malheurs arrivant sur le monde, Jésus conclut : « Quand ces événements commenceront à se produire, redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance est proche » (Lc 21,25-28). Et le dernier livre de la Bible ne se termine-t-il pas sur ces lignes : « L’Esprit et l’épouse disent : Viens! Que celui qui entend dise : Viens!  […] Celui qui atteste cela dit : Oui, je viens bientôt. Amen, (Maranatha) Viens, Seigneur Jésus » (Ap 22,17.20)?

Alors, en quoi pouvons-nous considérer que « veiller » et « se tenir prêt » sont des attitudes importantes? Selon moi, c’est qu’elles révèlent le sens profond – et dernier – d’une réalité humaine absolument radicale : le désir. C’est une des bases de la théorie psychanalytique. Si je comprends bien,  comme êtres humains nous serions structurés autour d’un vide, un vide que nous éprouvons comme un manque. Formulé de manière positive, cela signifie que nous sommes structurellement des êtres de désir. Des vivants qui aspirent à être comblés, qui sont en attente de quelque chose d’essentiel. Oui, nous sommes des êtres par nature insatisfaits et tendus vers l’avant. Des êtres qui aspirent à ce qu’il y a de meilleur pour eux, mais aussi pour l’ensemble de l’humanité.

Justement, deux de ces aspirations fondamentales se retrouvent dans le texte du prophète Ésaïe retenu aujourd’hui. D’abord, le rêve de l’unité du genre humain : « Toutes les nations afflueront vers Jérusalem et se mettront en marche » si bien que Dieu sera l’arbitre « d’une multitude de peuples ». Puis, l’aspiration à la paix universelle, exprimée par cette parole qu’illustre une sculpture placée dans les jardins des Nations-Unies à New York : « Martelant leurs épées ils en feront des socs de charrue, et de leurs lances, ils feront des serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre » (2,4). Et Ésaïe nous affirme, comme il l’a fait initialement à ses contemporains qui vivaient dans l’incertitude politique et militaire : cela va sûrement se réaliser. Ce n’est ni fou, ni absurde d’y croire en dépit de toutes les apparences.

À l’heure de la guerre en Ukraine et des autres conflits armés en cours dans le monde, à l’heure du réarmement massif de la plupart des pays, ces aspirations sont pour nous aussi fortement contrecarrées et contredites.

C’est vrai : notre environnement et les événements extérieurs mettent à mal notre désir et lui imposent des limites; c’est une des  fonctions de ce que Freud appelle, si je comprends bien, le principe de réalité. La condition humaine est marquée par l’incertitude et il est rare que les événements extérieurs nous offrent ce qui ressemblerait à des garanties prolongées. Il est même des périodes, et celle que nous vivons en est une, où les incertitudes s’additionnent. Tout semble en crise en même temps : l’économie, la santé, l’éducation, les cultures nationales, le système de justice, les institutions religieuses, le climat et la biodiversité.

La période de l’Avent constitue un temps pédagogique privilégié pour garder intact et vivant ce désir que le Créateur a inscrit en nous. Pour les théologiens et surtout pour les mystiques chrétiens, il faut faire confiance à cette soif intérieure qui fait partie de notre ADN. C’est l’inverse des traditions spirituelles d’Extrême-Orient, comme le bouddhisme, qui préconisent, pour échapper à la souffrance, de travailler à éteindre le désir. Pour notre tradition spirituelle, le désir est le lieu intérieur de notre rapport avec le divin.

Rappelez-vous comment plusieurs passages de la Bible, aussi bien juive que chrétienne, voient en Dieu non seulement celui qui a été et celui qui est, mais aussi, et souvent surtout, celui qui sera. En termes bibliques : celui qui vient. Le Dieu de notre foi est un Dieu de l’avenir. C’est bien ce qui ressort du fait que c’est un Dieu qui fait des promesses. Est-ce que ce n’est pas extraordinaire, un Dieu qui fait des promesses? Voilà sur quoi nous sommes sans cesse invités à prendre appui : sur les promesses de Dieu qui valident notre désir infini : non, il n’est pas fou, et il trouvera son accomplissement. Pour ma part, j’aime beaucoup répéter avec le psalmiste : « Selon ta promesse fais-moi vivre » (Ps 119, 154) ! Reconnaître notre désir, chevaucher notre désir constitue alors le moteur de notre agir et de notre engagement. Si notre désir nous semble un rêve inaccessible, une attente irréaliste ou utopique, on n’aura aucune motivation pour quelque action que ce soit. Il faut cultiver notre conviction que nous sommes chargés d’une mission d’humanité pour trouver, chacun selon son état, son histoire et sa personnalité, les actions qui contribueront à ce que son Règne vienne.

Prendre appui sur le Dieu fidèle à ses promesses, même quand leur réalisation semble compromise, ou même niée, par les événements négatifs, voilà le chemin de la foi. C’est l’auteur de la lettre aux Hébreux qui le dit clairement : « La foi est une manière de posséder déjà ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités que l’on ne voit pas » (11,1). Oui, nous marchons le plus souvent dans la nuit. Mais rappelons-nous les mots de Paul entendus tout à l’heure : « La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. C’est le moment, l’heure est venue  de sortir de votre sommeil. Car le salut est plus près de nous maintenant qu’à l’époque où nous sommes devenus croyants » (Rm 13,11-12).

Mes sœurs, mes frères, prions les uns pour les autres  afin que cette période de l’Avent et de Noël qui nous rappelle les promesses du Dieu fidèle ravive notre désir, nos engagements et notre foi, c’est-à-dire nous garde au rendez-vous de celui qui vient. Oh oui! Maranatha, Viens, Seigneur Jésus.

Amen!

 

LECTURES BIBLIQUES

Ésaïe 2,1-5

Romains 13,11-14

Matthieu 24,37-44

 

 

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