Des fleurs et des mauvaises herbes

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

Une parabole contemporaine : un jour, un propriétaire de duplexe loue la moitié de sa maison à une famille avec trois enfants dont l’appartement était devenu trop petit. La famille a accepté de faire un peu d’entretien autour de la maison en échange d’une baisse du loyer. Les locataires étaient tellement reconnaissants que le premier hiver la neige a été enlevée, et le sel répandu en un temps record. Au printemps, voulant prendre aussi bien soin des plats de bandes, toute pousse qui se pointait le bout du nez a été arrachée… plus de mauvaises herbes… ni de fleurs ! Ils voulaient bien faire mais ils n’avaient pas assez d’expérience pour distinguer entre une mauvaise herbe et une fleur.  Et n’oublions pas que parfois les mauvaises herbes des uns, ce sont les fleurs des autres. Nous n’avons qu’à penser à l’évolution de l’attitude populaire envers les pissenlits. Nous le savons maintenant. C’est réducteur de penser que les pissenlits ne sont pas qu’une nuisance dont il faut se débarrasser pour que de belles fleurs ou une pelouse verdoyante prennent toute leur place.

« De peur qu’en ramassant l’ivraie vous ne déraciniez le blé avec elle, laissez l’un et l’autre croître ensemble. » Qui n’a jamais fait du tort tout en voulant faire le bien ? Qui n’a jamais jugé ou agi trop vite… ou de manière trop zélée ?  La parabole de ce matin est un appel à l’humilité : souvenons-nous que notre vision du monde, du bien et du mal, est toujours partielle.

Ce qui est vrai pour les pissenlits est aussi vrai pour d’autres espèces dans le Royaume de Dieu. Si on se trompe en prenant un pissenlit pour une simple nuisance, combien de fois nous trompons-nous en essayant de distinguer entre les bonnes et les mauvaises personnes ? On se rend compte aujourd’hui qu’on avait tort de penser qu’éradiquer les pissenlits serait bénéfique. Se peut-il qu’on fasse du tort en jugeant que certaines personnes ne sont que des nuisances et qu’il serait bénéfique d’effacer toute trace de leur passage sur la terre ? Je pense bien sûr à des personnages de la scène politique, artistique, musicale, ecclésiale. Mais je pense aussi aux personnes judiciarisées qui ont aujourd’hui tant de peine à réintégrer la société parce qu’on ne voit que leur dossier criminel. Aujourd’hui, il peut suffire d’être accusé pour être étiqueté et soupçonné à vie… ou presque. Et que dire de notre façon de nous juger et de nous condamner nous-mêmes. Nous sommes si souvent nos pires ennemis. Généralement, je dirais que les gens que je côtoie voient plus le côté « mauvaise herbe » que le côté « fleur sauvage polinisateur » des pissenlits dans le jardin de leur vie.  Mais c’est une vision réductrice. Personne n’est réductible ni à son meilleur geste, ni à sa pire erreur.

Dieu a une vision beaucoup plus large et plus bienveillante des choses et des personnes. Pour le constater nous n’avons qu’à penser à certains « héros » de la Bible. Il y a bien sûr Moïse, le meurtrier, et le roi David coupable d’agression sexuelle et de complot pour meurtre. Et puis, ce matin, nous avons le cas de Jacob.

Aujourd’hui, nous le croisons sur la route de Harrân.  Ce n’est ni l’autoroute des vacances, ni un chemin de pèlerinage. Ce n’est ni un temps de sabbat, ni un temps de prière. Jacob ne cherche pas Dieu. Il cherche à sauver sa peau. Après avoir dupé son frère Ésaü pour s’emparer de ses droits de fils aîné, Jacob a dupé son père pour que ce dernier lui donne la bénédiction qui revenait à Ésaü.  Ésaü, furieux, se jure de tuer son frère dès que leur père mourra.  (Tu parles d’une famille dysfonctionnelle ! Et ce Jacob, on dirait une vraie mauvaise herbe ! Rien à faire !)

Jacob part se réfugier chez son oncle. En chemin, le coucher du soleil le surprend et il doit s’arrêter pour la nuit.  L’endroit où il s’installe n’est pas des plus accueillants. La traduction de la Bible que nous avons nous dit qu’il prit une pierre et en fit son chevet.  Selon certains biblistes, une autre traduction possible serait : « il prit une pierre et la mit à sa tête », c’est-à-dire qu’il a placé la pierre de façon qu’elle lui protège la tête.  Mais que cette pierre ait servi d’oreiller ou de mesure de sécurité importe peu.  Le message est clair : c’est loin d’être le plus chic des gîtes du coin !  Mais Dieu est là et cet endroit dangereux et si peu accueillant devient une maison de Dieu… un lieu privilégié pour une rencontre personnelle avec Dieu. La maison de Dieu, c’est notre sanctuaire… c’est-à-dire le lieu où on trouve un abri… un refuge. Au cœur des dangers et des défis de nos vies, Dieu est là… même si nous n’en sommes pas toujours conscients. Même si nous ne le cherchons pas activement, Dieu peut nous rattraper.

Avez-vous remarqué ? Jacob met des conditions à sa fidélité : « Si le Seigneur me donne de quoi manger et m’habiller, si je reviens sain et sauf chez mon père, alors le Seigneur sera mon Dieu. Cette pierre que j’ai dressée et consacrée sera une maison de Dieu une maison de Dieu et je lui donnerai le dixième de ce qu’il m’accordera,” (Gen 28, 20-22). Peu importe. Dieu ne met pas de conditions à son amour. Dieu tient sa promesse d’être près de son peuple, de le protéger et de lui donner la vie en abondance. Dieu nous dit à nous tous et toutes : « Vois, je suis avec toi et je te garderai partout où tu iras. »  Il n’y a pas de « si » rattaché aux promesses de Dieu.

Dieu agit en nous non selon nos mérites – nos attitudes et nos comportements – mais selon son amour et sa grâce qui sont répandus dans nos cœurs. Dieu agit selon ce qui est au-dedans de nous.

« Seigneur tu m’as scruté et tu sais tout de moi… »  Dieu sait ce qui est au-dedans de nous.  Aussi, Dieu connaissait-il Jacob mieux que nous.  Dieu savait d’avance qu’au fond de cet homme qui fuyait tout, se cachait la force et le courage de lutter contre Dieu et les hommes et d’en sortir grandi (Genèse 32, 23-29). Dieu savait la transformation éventuelle de Jacob en Israël. Et Dieu nous connait tous et toutes de cette manière.  « Vois, je suis avec toi et je te garderai partout où tu iras. Je ne t’abandonnerai pas jusqu’à ce que j’aie accomplie ma volonté pour ta vie. »

Cette promesse est faite sans condition mais elle confère à Jacob et à sa descendance – jusqu’à nous et à notre descendance – une responsabilité : « En toi et ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre » Jacob ne sera pas qu’une mauvaise herbe dont il vaudrait mieux effacer toute trace. Il y a un peu de fleur sauvage en lui, un pollinisateur utile… nécessaire même… au plan éternel de Dieu. Il en va de même pour nous.

Dieu sème en nous toutes et tous le potentiel d’être une bénédiction, d’être bienfaisants pour d’autres. Oui, même en ceux et celles qu’on pourrait prendre pour des « mauvaises herbes », bonnes à rien. Qui sommes-nous pour juger ? Voyons-nous au fond des êtres et des choses ?

Seul Dieu peut juger. Car seul Dieu peut scruter les cœurs et distinguer les fleurs des mauvaises herbes le temps venu.

Mais ce temps n’est pas encore venu. Ce que nous voyons aujourd’hui, ce ne sont que les premières pousses qui se pointent le bout du nez.  Dieu n’a pas fini de nous surprendre. Par sa grâce, comme pour les pissenlits, comme pour Jacob (et Moïse et David et bien d’autres), sans doute y a-t-il beaucoup de mauvaises herbes qui vont s’avérer être des fleurs des champs pollinisateurs.

« Vois ! Je suis avec toi et je te garderai partout où tu iras et je te ferai revenir vers cette terre car je ne t’abandonnerai pas jusqu’à ce que j’aie accompli tout ce que je t’ai dit. » Amen.

 

LECTURES BIBLIQUES

Genèse 28, 10-22

Matthieu 13, 24-30

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