Certaines lumières nous éclairent longtemps

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

Il y a de la lumière au bout de ce tunnel dans lequel vous avez l’impression que rampe votre vie, et cette lumière est divine.

L’Union des Églises protestantes d’Alsace-Lorraine s’est donné, pour son calendrier de l’Avent cette année, un thème qui me rejoint beaucoup : Certaines lumières nous éclairent longtemps.

Certaines lumières nous éclairent longtemps… Il en est justement question, me semble-t-il, dans les deux textes bibliques que nous venons d’entendre.

Commençons par le premier chapitre de l’évangile de Jean. Il nous présente Jean le Baptiseur comme un témoin de la lumière : il l’a été pour ses contemporains juifs, bien sûr; mais il le fut, surtout, pour Jésus, dont la rencontre avec Jean le Baptiseur, qui annonçait la venue prochaine du Règne de Dieu, fut une illumination qui a changé sa vie d’homme. À voir comment Jésus parle encore de lui plusieurs mois après cette rencontre décisive (Matthieu 11,7-15), on se dit que oui, certaines lumières nous éclairent longtemps. Jean était sûrement un être lumineux, mais la lumière qu’il dégageait était une lumière qu’il recevait lui-même, comme on dit que la lune éclaire alors qu’en réalité, sa lumière est celle du soleil, qu’elle reflète.

Observons comment l’évangéliste a rédigé le texte proposé aujourd’hui à notre méditation. Avez-vous été frappés de l’insistance avec laquelle il dit ce que Jean n’est pas? « Il n’était pas la lumière » (v.8), « Je ne suis pas le Messie » (v.20), « Je ne suis pas Élie » v.21), « Je ne suis pas le Prophète » (v.21). Clairement, Jean le Baptiseur ne veut pas que l’attention se concentre sur lui-même. Son rôle, nous dit le prologue de Jean, était de « rendre témoignage à la lumière ». On ne regarde pas la lumière, c’est elle qui nous permet de voir et de regarder.

Jean le Baptiseur, nous dit le texte (Jean 1,7), « vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui ». Cette formule pose une question toute simple que je n’avais encore jamais perçue :  mais pourquoi donc la lumière a-t-elle besoin d’un témoin? Qu’elle soit éclatante en plein jour ou même faible lueur dans la nuit, ne s’impose-t-elle pas d’elle-même? On dit qu’on trouve, dans le Talmud, cette belle observation : « Un peu de lumière chasse beaucoup de ténèbres ». Alors, qu’est-ce donc que cette affaire de « témoin de la lumière »?

Je vous propose à ce sujet deux pistes. La première, c’est que l’évangéliste Jean nous invite à voir en  l’homme Jésus « le Verbe qui, venant dans le monde, illumine toute personne » (1,9). Il reprendra cette affirmation en la plaçant dans la bouche de Jésus lui-même au chapitre 8 : « Je suis la lumière du monde; qui marche à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie » (v.12). Cependant, la mort de Jésus nous a privés de cette forme de présence. Sa lumière ne nous atteint donc désormais que par des témoins.

La deuxième piste est que cette lumière qu’est le Verbe venu dans le monde est lumière sur Dieu , lumière de Dieu lui-même. Comme on lit encore dans le prologue de Jean, « Personne n’a jamais vu Dieu; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a raconté » (1,18). Dans la Bible comme dans la tradition spirituelle chrétienne, Dieu est non pas décrit ou expliqué, mais raconté, et le langage pour le faire tire sa richesse de ce qu’il est imagé.

Une des principales images de ce récit de Dieu est la nuée, le nuage : paradoxalement, ce qui voile la lumière. Ce qui fait de l’ombre. « YHWH a choisi d’habiter la nuée obscure » s’écrie Salomon au moment où Dieu prend possession de son temple (1 R 8,12). Perceptible mais insaisissable, la nuée symbolise bien le mystère fascinant mais impénétrable de Dieu. Et quand, 2000 ans après Salomon,  l’espagnol Jean de la Croix cherchera à raconter son expérience de Dieu, il écrira un long poème sur la « nuée obscure » et un autre où chaque évocation de son expérience se termine par ces mots : « Mais, c’est de nuit[1] ».

Nous avons besoin de témoins de la lumière parce que devant Dieu, nous serons en vérité toujours dans un Nuage d’inconnaissance, pour reprendre le titre d’un grand classique spirituel du XIVe siècle. Puisque Dieu nous demeure invisible, puisque aussi il nous interdit de chercher à nous en faire une représentation, une image, ce n’est que par des histoires de témoins que nous connaissons sa lumière.

Nous avons encore besoin de témoins de la lumière car il nous arrive de vivre dans des moments historiques où s’accumulent désespérément de sombres nuages noirs. C’est bien la situation dans laquelle était le peuple juif au moment où un anonyme a énoncé les paroles de notre première lecture, paroles qui ont fini par être intégrées au livre du prophète Ésaïe. Témoin de la lumière : tel est bien celui qui parle à la première personne dans ce texte que nous avons entendu tout à l’heure. À qui parle-t-il? Aux juifs exilés depuis un demi-siècle à Babylone, pour qui l’espoir de revoir leur terre et leur cité est devenu une chimère et qui, petite minorité méprisée menacée d’assimilation, ne peut imaginer qu’il y ait pour elle un quelconque avenir. Le personnage d’Ésaïe leur parle, ces humiliés, ces cœurs brisés, ces gens sans importance, ces captifs, ces prisonniers, en un mot, ceux et celles pour qui la vie a perdu sa saveur, qui ne voient pas ce que la vie leur réserve de bon, qui ont perdu  courage et jusqu’à l’estime d’eux-mêmes.

Oui, clame-t-il, vous qui n’y croyez plus ou à qui on ne l’a jamais révélé, il existe, pour vous, oui, pour vous, une bonne nouvelle, une guérison, une délivrance, une libération. Vous pouvez faire une place à la joie et à l’exultation, car il existe une justice, une source d’émerveillement et de louange. Il y a de la lumière au bout de ce tunnel dans lequel vous avez l’impression que rampe votre vie, et cette lumière est divine.

Certaines lumières nous éclairent longtemps. Inspiré par ces mots, je me suis rappelé avec émotion quelles sont les personnes qui ont brillé dans ma vie et dont j’éprouve encore, même des dizaines d’années plus tard, le bienfait. J’ai repensé aux professeurs qui ont éveillé, l’un ma passion pour la Bible, l’autre ma fascination devant la riche histoire de la spiritualité chrétienne; j’ai repéré des penseurs et auteurs dont la pensée lumineuse m’a lancé sur des pistes fécondes de réflexion et de recherche; et je me suis remémoré avec reconnaissance ces écoutants attentifs qui m’ont accompagné quand je ne voyais plus clair dans ma vie et devais prendre des décisions courageuses. Toutes ces personnes, plusieurs sans le savoir et sans même me connaître, ont été pour moi des témoins de la lumière. Peut-être, en m’entendant, vous vient-il déjà à l’esprit, à vous aussi, le souvenir de personnes qui, peut-être comme un puissant projecteur, peut-être comme une modeste mouche à feu dans la nuit, ont joué pour vous le rôle de témoins de la lumière.

Prenons un autre exemple, tiré de l’actualité récente. La semaine dernière, on remettait le prix Nobel de la paix à Narges Mohammadi, retenue en prison par les autorités iraniennes. On ne peut pas ne pas voir en cette femme courageuse un « témoin de la lumière », comme la plupart des personnes ou des organismes qui ont reçu cette reconnaissance. Chrétiens ou non, les récipiendaires du prix Nobel de la paix ont été certains d’humbles bougies, d’autres de puissants phares, dans la nuit de la violence, des rivalités et des conflits. Mais, semble-t-il, ces « témoins de la lumière » sont moins nombreux, ou plus discrets, que les chercheurs en médecine ou en physique, ou les auteurs de littérature. Les prix Nobel de la paix existent depuis 123 ans, mais plus de 10% du temps, soit 19 fois, l’Académie n’a pu le décerner. Et plusieurs, comme Narges Mohammadi, ont connu le sort de Jean le Baptiseur, enfermés dans une prison ou même conduits à la mort.

Soyons sûrs, mes sœurs et mes frères. que Dieu suscite toujours, aujourd’hui comme hier et encore demain, des témoins de sa lumière, détenteurs du prix Nobel de la paix ou pas. On connaîtra peut-être, un jour, le nom d’hommes et de femmes qui, en Iran, en Ukraine, en Russie, en Palestine ou en Israël, auront été des témoins de la lumière là où la violence et l’injustice semblaient avoir le dernier mot. Des témoins de la lumière qui, par leur courage et leur oubli d’eux ou d’elles-mêmes, font voir la lumière au bout du tunnel, ou du moins nous assurent qu’elle existe.

Mais surtout, je crois de toutes mes forces que, vous comme moi, sommes tous et toutes invités à être des témoins de la lumière.

Nous, chrétiens, ne pouvons être défaitistes, déprimés, résignés, alors que Noël va nous rappeler que l’humanité est tellement importante pour Dieu qu’il a fait cette chose que personne sauf lui ne pourrait imaginer : se faire l’un d’entre nous. Ésaïe le dit si bien ailleurs : « Ce n’est plus l’obscurité pour le pays qui était dans l’angoisse… Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi. » (8,23a.9,1).

Nous en sommes à notre tour les témoins, et nous pouvons toutes et tous devenir de ces lumières qui éclairent longtemps, puisque, comme le formule notre profession de foi en Dieu Emmanuel : « Dans la vie, dans la mort, dans la vie au-delà de la mort, Dieu est avec nous. Nous ne sommes pas seuls. Grâces  soient rendues à Dieu. Amen. »

LECTURES BIBLIQUES

Ésaïe 61, 1-2a, 10-11

Jean 1, 6-8, 19-28

[1]    http://www.carmeldesaintsaulve.fr/page-1108.html

Photo : pxhere.com

 

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