La moisson hors saison de Jésus

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

Gérald DoréEn cette fin de printemps, avez-vous eu le temps et l’occasion d’observer l’état actuel de la végétation dans les champs? Si vous l’avez fait, qu’avez-vous vu? Des pousses à la croissance encore incertaine ou des plantes arrivées à maturité et prêtes pour la récolte? Et si le champ que vous avez observé a été ensemencé en blé, avez-vous vu de beaux épis blonds se balancer au bout de leur tige, au gré du vent? Dans le passage de l’évangile de Jean que nous venons de lire, Jésus, lui, parle d’une variété de blé dont les épis sont blancs, quand ils sont mûrs. Il affirme à ses disciples, à quatre mois de la moisson, contre toute évidence donc, que les champs sont « blancs pour la moisson ». Jésus, bien sûr, parle en parabole, mais son propos n’en a pas moins, aux yeux des disciples, une allure irréaliste, quand ils découvrent qu’il veut dire que les temps sont mûrs pour une moisson de disciples. Le texte laisse entendre que les obstacles rencontrés par Jésus dans son ministère font penser aux disciples que ce n’est pas pour maintenant. Jésus n’ignore pas cette manière raisonnable de penser, mais lui, il dit : « levez les yeux et regardez; déjà les champs sont blancs pour la moisson! » (Jn 4, 35).

Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits.

Le scepticisme que l’évangile de Jean prête aux disciples qui entourent Jésus est sans doute celui qui prévaut, quelque soixante-dix ans plus tard, à l’époque où cet évangile est rédigé et diffusé. En ce début du 2e siècle, les signes du temps n’indiquent pas de manière évidente qu’il soit possible de récolter une moisson de disciples. Les petites communautés d’alors, en proie aux persécutions, ont de bonnes raisons d’avoir des doutes. Par la bouche de Jésus, l’évangile de Jean leur dit qu’hors saison comme en saison, c’est toujours le temps de la moisson. En parcourant les versets que nous avons lus, le même message nous est donné à entendre. Pour d’autres raisons que celles des disciples dans l’Église naissante, tout nous donne à penser qu’on est hors saison, vraiment hors saison, pour moissonner des disciples.

Après des siècles de triomphe des institutions d’Église sur les sociétés et les consciences, pour le meilleur et pour le pire, la majorité dans les populations autrefois identifiées comme chrétiennes a déserté les lieux de culte. Les valeurs chrétiennes sont banalisées, dans un environnement culturel où tout semble également acceptable, à partir du moment où il se trouve quelqu’un pour le dire assez fort ou le manifester de manière assez voyante pour que les médias s’en fassent l’écho amplificateur. Les institutions d’Église ont perdu leur lustre d’antan. Leurs travers et leurs infidélités ont été rendus publics et les ont discréditées. Elles n’ont plus qu’une influence marginale dans une société sécularisée, où le profane a réduit à presque rien la place du sacré. Comme la Samaritaine des versets qui précèdent le passage que nous avons lu, nous avons souvent des vies bien compliquées. Avec l’éclatement des barrières sociale et morales d’autrefois, nos situations de vie nous projettent dans toutes les directions. Il nous reste bien peu de temps et d’énergie pour penser et célébrer ce qui transcende le quotidien et lui confère son sens. Évidemment, ceux et celles qui sont les plus absents à cette quête de sens ne sont pas ici pour se laisser interpeller par ce constat.

Peut-être les choses vont-elles un jour se replacer d’elles-mêmes et assisterons- nous à un retour, non sans doute des Églises triomphantes d’autrefois, mais d’un large mouvement de quête de sens dans la Voie spirituelle inaugurée par Jésus de Nazareth. En attendant, le nombre qu’on est aujourd’hui, l’opinion publique sur les Églises et les statistiques sur la pratique religieuse nous donnent à penser, si on veut être raisonnable, que ce n’est pas le temps, vraiment pas le temps, de la moisson de disciples. « Encore quatre mois et viendra la moisson? » (Jn 4, 35), nous disons-nous, en comprenant les « quatre mois » comme un délai indéterminé. En effet, en matière de tendances sociales, les cycles saisonniers sont moins précis qu’en matière agricole!

Pourtant, comme aux disciples sceptiques et peut-être découragés du 1er siècle, l’évangile de Jean nous arrive aujourd’hui avec cette parole dans la bouche de Jésus : « Mais moi je vous dis : levez les yeux et regardez; déjà les champs sont blancs pour la moisson! » (Jn 4, 35). Au lieu de « lever les yeux », nous pouvons, bien sûr, les tourner sur nous-mêmes dans une convivialité tranquille. Nous pouvons, comme le Jonas de notre première lecture, essayer de fuir la moisson apparemment impossible sur laquelle Jésus nous invite à « lever les yeux ». La suite du livre de Jonas nous dit que Dieu a bien su le rattraper. Peut-être en sera-t-il ainsi de nous, si nous optons pour le repli sur nous-mêmes. Nous pouvons aussi, comme le Paul de la lettre à la communauté de Corinthe, prendre le parti qu’annoncer l’Évangile est une nécessité qui s’impose à nous (1 Co 9, 16). Dans le passage de l’évangile de Jean que nous avons lu, c’est cette option que Jésus nous invite à faire nôtre.

Si nous levons les yeux sur notre champ social, comme Jésus nous invite à le faire, nous y verrons des signes de mûrissement culturel que nous ne saurions voir autrement. Dans cette société où une majorité s’affirme encore comme croyante – 59% en 20131-, beaucoup de gens prennent leur eau au puits de la vie quotidienne, tout en aspirant à cette « eau vive » dont parle Jésus à la Samaritaine, dans les lignes qui précèdent notre lecture d’Évangile d’aujourd’hui. Nous ne pouvons par nous-mêmes étancher cette soif. Nous sommes par ailleurs en mesure d’offrir ici ou ailleurs un espace communautaire où cette soif puisse se manifester et chercher le chemin de la source d’eau vive qui l’étanchera. Nous portons dans cette communauté de foi une approche chrétienne respectueuse de la liberté des personnes en recherche spirituelle, une approche ouverte au pluralisme théologique et au renouvellement de la réflexion éthique, une approche démocratique dans ses structures. La médiation par laquelle nous donnons une expression à notre recherche spirituelle est la Bible interprétée pour notre temps, avec comme clé de lecture la personne, l’enseignement et l’exemple de Jésus-Christ.

Comme dit Jésus, d’autres ont peiné avant nous et nous avons pénétré dans ce qui leur a coûté tant de peine (Jn 4, 38). Nous y avons pénétré par pur don gratuit et maintenant, nous sommes appelés à ouvrir la porte pour que d’autres y pénètrent, suivant la grâce qui leur en sera faite. Jésus nous dit : « levez les yeux et regardez; déjà les champs sont blancs pour la moisson! » (Jn 4, 35). Dans ma tête à moi, il ajoute : «  à vous de trouver les moyens adaptés à votre temps. Je ne vous demande pas de perpétuer ou de refaire la chrétienté d’hier. Je vous demande simplement de faire en sorte que le plus de gens possible, dans le champ social autour de vous, sachent qu’ils peuvent donner ici une expression communautaire et un chemin de libération à leur recherche spirituelle. Le reste est à la charge de ma grâce. »

« Levez les yeux et regardez; déjà les champs sont blancs pour la moisson! » (Jn 4, 35).

Amen.

Par Gérald Doré, pasteur bénévole associé

Église Unie Saint-Pierre et Pinguet

Culte du dimanche 19 juin 2016

LECTURES BIBLIQUES

Jonas 1, 1-3

1 Corinthiens 9, 16-23

Jean 4, 35-38

1 « Sondage CROP-Le Soleil-La Presse », Le Soleil, samedi 16 février 2013, p. 2.

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