Éloge d’un calcul intéressé

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

L’extrait de l’évangile de ce jour met en scène une histoire qui nous semble encore bien actuelle; on pourrait la retrouver dans un reportage d’une émission d’enquête voire servir sans grandes modifications de scénario à une télésérie. Même si vous avez déjà entendu cette parabole à plusieurs reprises au fil des ans, vous avez probablement encore une fois été captivé par la façon dont se déroule le récit, étonné par la réponse du riche spolié et interpellé par les exhortations morales et les résolutions qui nous sont proposées pour notre vie actuelle et même pour l’éternité. Beaucoup d’éléments susceptibles d’un approfondissement nous sont offerts en 13 versets. Quelle piste suivre pour cette méditation ? La profusion peut être déroutante et comme le dit l’adage : qui trop embrasse mal étreint.

Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits.

Alors, en ce contexte de campagne électorale et d’éveil planétaire à l’urgence climatique, le thème de la dilapidation des ressources et de ses conséquences m’a paru un angle à considérer. Ce passage se trouve immédiatement après l’histoire du fils qualifié de « prodigue » (Luc 15, 11-24) qui, après avoir épuisé son héritage dans une consommation axée sur le plaisir et le divertissement, se retrouve à sec. Comme il ne peut presser le citron davantage, il calcule que retourner chez son père avec humilité est la seule avenue qui lui reste. Et ici le récit nous surprend totalement. Le fils calculateur est accueilli par son père par un amour qui lui ne calcule; le père ne fait aucun reproche à propos de sa conduite inacceptable mais, avec générosité il le réintègre de manière inconditionnelle, bien sûr imméritée par le comportement du fils, mais profondément restauratrice justement à cause de cela.

Dans le récit de ce matin, nous pouvons suivre le monologue intérieur de notre gérant telle une voix off au cinéma qui nous livre les pensées d’un personnage sans que les autres l’entendent. Sur le point d’être destitué de sa responsabilité à la suite d’une accusation (vraie ou fausse on ne sait) notre bonhomme doit maintenant rendre des comptes. Situation très préoccupante pour l’intendant sur le point d’être renvoyé car comment retrouver du travail avec une telle référence s’il ne va pas carrément en prison. Que faire?

Cette voix intérieure qui calcule et cherche comment se tirer d’affaire on peut s’y identifier n’est-ce pas? Comment s’en sortir en évitant de tout perdre? C’est l’enfermement dans le déni et la tentative de préserver un comportement malsain, destructeur. La manipulation et le mensonge autant à soi-même qu’aux autres. Au niveau personnel, c’est pitoyable et tordu. Et à l’échelle collective, alors? Bien des administrateurs et des politiciens nous semblent souvent être d’un tel acabit et entachent par l’insatiable de leurs intérêts personnels le service collectif auquel ils font profession de se consacrer. Le report continuel des mesures à prendre pour régler des problèmes majeurs au nom d’intérêts ‘nationaux’ ou financiers immédiats nous a conduit à tellement d’impasse, d’injustice, de pauvreté chronique et de périls écologiques. Les cris des jeunes que nous entendons ces jours-ci un peu partout sur la planète nous le rappellent.

Notre gérant met alors en place une combine pour bénéficier des bonnes grâces des débiteurs de son employeur en manifestant des largesses de réduction de leurs créances. La magouille est toutefois démasquée mais, coup de théâtre, comme dans l’histoire du fils prodigue, le récit prend une tournure on ne peut plus inattendue. Quel étonnement! La réaction du maître floué n’est pas de redoubler de colère à l’égard de cet individu croche, mais plutôt de féliciter la sagesse prévoyante du gérant retord. La parabole finit donc abruptement, abandonne la logique du récit et bascule ici dans l’annonce du message essentiel de l’évangile au sens fort du terme, d’une bonne nouvelle qui bouscule la convention pour donner accès à un autre niveau de réalité, la profondeur des choses. L’argent est trompeur, et lorsqu’il est une fin en soi, avec sa logique propre, il est un outil de l’injustice de l’iniquité, une puissance de ce monde, qui contrôle, asservit et détruit tout en bout de piste, tant les relations que la création.

Dans notre histoire, la remise des dettes par l’astuce du gérant (et on peut penser ici au jubilé social de la société hébraïque idéalisée où les dettes étaient remises tous les cinquante ans, voir Lévitique 25, 10-13) désamorce le pouvoir de l’argent par son utilisation pour en abolir l’asservissement; la ressource est au service de la relation et de l’édification d’une communauté humaine solidaire et bienveillante.

La sagesse, l’ingéniosité dont fait montre l’intendant pour des motifs d’intérêt personnel, c’est de faire servir à créer de telles relations, de ne manquer aucune occasion de le faire. Il faut être aussi astucieux pour le bien qu’on peut faire montre de créativité pour des intérêts mesquins. Et là nous sommes invités à nous situer dans l’ordre des demeures éternelles c.-à-d. du règne de vérité et de justice, du projet divin pour notre monde qui demande à s’actualiser et à prendre forme par nos efforts. Dans cette optique, depuis 20 ans au Québec, le Collectif pour un Québec sans pauvreté nous invite à être des « gérants astucieux ». La campagne de cette année a pour thème [R]assemblons un Québec riche de tout son monde. Tout comme moi vous verrez comment cela coïncide tellement avec l’enseignement de la parabole d’aujourd’hui. Je vous invite à offrir votre appui à cette démarche on ne peut plus évangélique et à la soutenir financièrement si vous le pouvez.

Alors, l’argent trompeur disparaîtra; il ne demeurera, éternellement, que les amis que nous nous serons faits par son utilisation sage, judicieuse. C’est la prise en considération du besoin de l’autre, individuellement comme collectivement, qui doit être au cœur de l’utilisation des ressources, personnelles autant que collectives, dans nos familles comme de l’État.

À nous d’y voir, à être astucieux, dès maintenant. Car oui, il y a urgence, climatique et autre, pour la vie et la survie de nous tous et toutes, et pour la Terre, don du Créateur à ses enfants. Amen.

Église Unie Saint-Pierre – 15e dimanche de Pentecôte C – 22 septembre 2019

 

LECTURES BIBLIQUES

1 Timothée 2, 1-6a

Luc 16,1-13

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