LECTURES BIBLIQUES : Luc 1, 46b-55 et Mt 11, 2-11
Qui d’entre nous ne s’est jamais fait poser cette question? En bon québécois, ça revient à dire quelque chose comme « déguedine » ou, pour citer la chanson Mon Pays de Robert Charlebois; «T’es mieux d’y voir, d’être moins slow qu’ça ».
En préparant cette prédication, j’ai appris que l’expression « Attends-tu le Messie?» date d’environ 1648 et fait allusion à une attente optimiste et impatiente à l’égard d’une personnei. S’il s’avère que bien des gens ont été déçus par ce genre d’attente, faisant parfois un messie de leur gourou, les textes que nous venons de lire traduisent cette attente sous deux registres, un peu comme les partitions d’un duo qui, ensemble, donnent un tout harmonieux. Si j’ai osé prendre deux extraits d’évangile, c’est pour que nous puissions examiner ensemble les partitions de Marie et de Jean-Baptiste. Ma prière est que les textes que nous venons de lire puisse réjouir notre propre attente, en ce troisième dimanche de l’Avent marqué du thème de la joie.
Lorsque j’ai constaté que le lectionnaire de cette semaine proposait le Magnificat, aussi appelé le cantique de Marie, je me suis posé des questions. Comment aborder cela sans paraître trop « marial »? trop catholique? Puis je me suis dit que ce texte de la Bible, comme tous les autres, peut être abordé dans une optique protestante. Je me suis dit aussi que le très luthérien et très dévoué J-S Bach n’a jamais écrit d’Ave Maria, mais il a composé un magnifique Magnificat. Tiens, tiens! magnifique Magnificat! C’est peut-être l’occasion de faire un peu d’étymologie. Le mot « magnifique » décrit une personne ou une chose qui excelle; et « magnificat », qui veut dire glorifier quelqu’un ou le rendre grand est le premier mot, en latin, du cantique de Marie.
Avant de nous arrêter à ce qu’il y a de singulier dans la grossesse de Marie, j’aimerais souligner très brièvement ce qu’il y a de commun entre sa grossesse et toutes les autres. Aujourd’hui comme il y a 2000 ans, attendre un enfant, c’est à la fois se préparer à le recevoir et former des projets d’avenir. Je suis certain que ceux, et plus encore celles d’entre nous qui ont vécu cette attente en gardent un vif souvenir.
Revenons au Magnificat que Marie prononce lors de la visite à sa cousine Élisabeth, enceinte de Jean-Baptiste. Ce cantique comporte deux sections. Dans la première, c’est l’affaire entre Marie et son seigneur «Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit s’est rempli d’allégresse à cause de Dieu, mon Sauveur, parce qu’il a porté son regard sur son humble servante. Oui, désormais, toutes les générations me proclameront bienheureuse, parce que le Tout Puissant a fait pour moi de grandes choses : saint est son Nom». Puis la fin du passage «nous met en lien avec l’activité de tout temps de Dieu qui consiste à abaisser les orgueilleux et les puissants et à élever l’humble et l’affamé»ii.
Nous sommes ici devant le plus long discours de Marie dans le Nouveau Testament et on le retrouve seulement chez Luc. Marie s’y qualifie d’humble servante, pour ne pas dire « servante humiliée », considérant le fait qu’elle n’était pas encore mariée et que Joseph, ne voulant pas la diffamer publiquement, avait résolu de la répudier secrètement (Mt 1,19). Et qui sait? Peut-être que Marie a quitté la Galilée et rendu visite à Élisabeth pour fuir les murmures et les regards. C’est ce que suggère Kimberly Heath, nouvelle modératrice de notre Église dans son message de l’Avent. Elle ajoute que lors de cet épisode dit de la Visitation nous sommes en présence de «deux femmes, deux miracles, deux oui courageux à l’appel de Dieu»iii. Le bibliste suisse Daniel Marguerat voit dans cette rencontre d’Élisabeth et de Marie une « charnière » entre le cycle du Baptiste et celui de Jésus, entre l’ancienne et la nouvelle allianceiv.
Au sujet du Magnificat, Dietrich Bonhoeffer a écrit: « Ce cantique de Marie est le plus passionné, le plus sauvage, on pourrait presque dire le cantique de l’Avent le plus révolutionnaire qui ait jamais été chanté. Ce n’est pas la douce, tendre, rêveuse Marie comme on la voit sur les images, c’est la femme passionnée, emportée, fière, enthousiaste qui parle ici… Un chant dur, fort, implacable de trônes écroulés et de puissants humiliés, de violence de Dieu et d’impuissance humaine. » C’est peut-être pourquoi le Magnificat est également cité comme l’une des sources de la Théologie de la libération, notamment pour le passage : « Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles»v. Nous retrouvons dans ce chant de Marie un puissant mouvement prophétique qui oppose à l’abaissement des puissants l’élévation des humbles et qui annonce les propos tenus par Jésus tout au long de l’évangile de Luc, notamment lors des béatitudes.
Au sujet de Marie, l’occasion est bonne de vous partager une information dont un de mes amis, bon catholique, m’a fait part il y a quelques semaines. À la lumière de cette information, vous constaterez comme moi que le Vatican se rapproche d’une conception protestante du rôle de Marie. Le Dicastèrevi pour la doctrine de la foi a publié le 4 novembre dernier un document intitulé Mater Populi Fidelisvii (« Mère du Peuple des Fidèles »), approuvé par le pape Léon XIV. Ce document explique comment l’Église comprend certains titres donnés à la Marie et pourquoi certains d’entre eux doivent être utilisés avec précaution. Ainsi, comme le titre du document l’indique, Marie est, selon l’Église catholique Mère du Peuple des Fidèles, en raison de cette parole que Jésus adresse à Jean, qui représenterait toute l’Église à la croix : « Voici ta mère ». Mais, le document affirme qu’«il ne serait pas approprié d’utiliser le titre de “Co-Rédemptrice” pour définir la coopération de Marie au salut. Ce titre risque d’occulter l’œuvre salvifique unique du Christ». Marie est restée fidèle au pied de la Croix, unie à la souffrance de son Fils, mais c’est lui seuil qui a racheté l’humanité. En ce qui concerne le titre « médiatrice de toutes grâces », le document ajoute qu’attribuer à Marie ce rôle porte ombrage à l’oeuvre du Christ dont il est dit clairement : « Il y a un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme. » (1 Timothée 2, 5). Le Dicasctère termine ainsi :« Aucun être humain, pas même les Apôtres ou la Vierge Marie, ne peut être un dispensateur universel de la grâce. Seul Dieu peut accorder la grâce, et il le fait par l’humanité du Christ. »
J’ai parlé tout à l’heure de deux partitions d’un duo. Retournons dans l’Évangile de Matthieu pour entendre celle de Jean-Baptiste. Nous savons tous qu’il avait non seulement attendu le Messie, mais aussi préparé sa venue en prêchant le baptême de repentance. Mais le voilà qui doute et envoie ses disciples demander à Jésus « Devons-nous en attendre un autre? ». Notez ici encore le thème de l’attente.
Antoine Nouis signale qu’ « en envoyant ses disciples interroger Jésus, Jean a la bonne attitude. Au lieu de s’enfermer dans ses propres idées, il fait preuve d’une saine curiosité spirituelle, ce qui est la façon la plus juste d’aborder une question ». Mais Jean-Baptiste a sans doute ses raisons de douter, lui qui, prisonnier politique sur le point d’être « le premier martyr du Nouveau Testament »viii attend un messie politique, d‘un genre plutôt justicier que compatissant. Rappelons-nous ses paroles que nous avons lu la semaine dernière: « Celui qui vient après moi est plus fort que moi… Il a sa pelle à vanner à la main, il va nettoyer son aire et recueillir son blé dans le grenier; mais la balle, il la jettera au feu qui ne s’éteint pas » (Mt 3, 11-12).
Et Jésus répond aux disciples de Jean en citant des fragments d’Ésaïe, les mêmes dont il se servira dans l’évangile de Luc pour inaugurer son ministère, montrant par là une toute autre image du Messie: «Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ». Mes sœurs, mes frères, ne sommes-nous pas de ces aveugles à qui le Christ a ouvert les yeux? De celles et ceux qui étions boiteux et qui marchons maintenant à sa suite, qui ont été purifiés par le pardon qu’il accorde et qui avons entendu son appel à une vie nouvelle, cette vie nouvelle qu’on peut représenter comme une résurgence dans notre existence, comme la photo qui accompagnera cette prédication sur le site de la paroisse.
Je termine en vous invitant à vous joindre à moi dans la prière. Seigneur, nous te demandons que les moments de partage et de réjouissance si typiques du temps des Fêtes soient pour nous des occasions de témoigner de l’attente du Messie que ton Esprit-Saint nous fait vivre. AMEN
ihttps://www.linternaute.fr/expression/langue-francaise/17744/attendre-quelqu-un-comme-le-messie/
iiNelson’s New Illustrated Bible Dictionnary, article « Magnificat »
ivWikipédia, article « Magnificat ».
vIbidem.
vi Le Dicastère est le plus ancien des départements de la Curie romaine. Son siège est le Palais du Saint-Office à Rome, aux portes de la Cité du Vatican. Il a été fondé pour défendre l’Église catholique contre l’hérésie et est l’organe chargé de la diffusion et de la défense de la doctrine catholique.
viihttps://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_ddf_doc_20251104_mater-populi-fidelis_fr.html
viiiAntoine Nouis

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