C’est dans la montagne que l’évangile situe l’enseignement des béatitudes par Jésus; des paroles paradoxales, des déclarations visionnaires, une description intrigante d’une autre façon d’aborder le quotidien, de vivre selon le royaume des cieux, à la manière de fils et filles de Dieu ce qui nous conduira progressivement à voir Dieu toujours plus clairement. C’est en prenant du recul, de l’élévation, que nous nous rendons plus réceptifs, disponibles et que, parfois, s’impose à nous une perspective inédite sur nous-même, sur le monde. Depuis des siècles, ces béatitudes que nous avons entendues ébranlent les valeurs conventionnelles sur ce qu’est une vie réussie, cette course effrénée au pouvoir, à l’avoir et à la gloire, la manière de vivre dite normale, au bas de la montagne.
Il me semble que cette fête de l’Action de grâce est l’occasion par excellence de nous laisser pénétrer de l’esprit des béatitudes, joie, simplicité et miséricorde, selon l’invitation des sœurs protestantes de Grandchamp. Vivre dans la reconnaissance c’est pénétrer dans un état de grâce, de gratitude qui filtre toutes les réalités. Reconnaissance, remercier; reconnaissance, connaître à nouveau; je me rappelle en profondeur, je me souviens. C’est vrai : l’existence est un cadeau gratuit; chaque instant jaillit comme l’eau pure d’une fontaine et recèle dans sa simplicité une gloire divine qui n’a d’autre désir que d’étancher notre soif. Rien ne nous est dû, tout nous est offert, donné, et cela même si nous sommes ingrats et gonflés de vanité.
Écouter la Parole de Jésus, s’en laisser toucher, pénétrés par l’esprit les béatitudes, c’est un choix que vous avez fait, qui s’est imposé à vous à un moment ou un autre de votre vie. Heureux êtes-vous qu’il en soit ainsi. L’esprit des béatitudes offre l’accès au nouveau monde possible que chaque nouvelle génération est invitée à connaître et à choisir.
Il me semble que la perspective du royaume des cieux est une inspiration non dite de la déclaration des droits de l’homme qui s’efforce de formuler de manière laïque, universelle, l’aspiration profonde du cœur humain, la dimension spirituelle.
L’écho de Joie, simplicité, miséricorde se retrouvent dans Liberté, égalité, fraternité. Une vie libre est une existence vécue dans la joie et la créativité ; la simplicité, c’est l’humilité consciente qui considère chacune et chacun d’égale valeur, importance et dignité ; la miséricorde, c’est la compassion et la sollicitude bienveillante qui est la fondation indestructible de la fraternité. L’Action de grâce nous situe ainsi dans notre authentique dimension comme le parfum de la beauté de notre humanité.
Un monde sans action de grâce fabrique une société utilitaire et rigide, sans reconnaissance d’une commune humanité ; un monde où le plus fort l’emporte, où tout est à exploiter sans égard pour le partage équitable ni la sauvegarde de la création pour ceux qui nous suivront, un monde froid, calculateur, replié sur la jouissance égoïste et l’indifférence au sort des plus faibles, si ce n’est pas simplement leur élimination. Une telle société et les individus qui la composent se sont coupés de la source de l’Action de grâce, ils sont désaxés et malades, vivant dans une illusion mortifère de réussite et d’accumulation de petits bonheurs.
Pénétrons-nous de l’esprit des béatitudes, joie, simplicité, miséricorde, le fondement de notre reconnaissance et de notre espérance. L’Action de grâce peut nous redonner la juste perspective sur nous-mêmes et notre manière de vivre en ce monde, le pôle d’équilibre, l’axe de notre existence. L’Action de grâce est aussi la base de la fraternité et de la sollicitude bienveillante sur lesquelles nos communautés doivent s’édifier et est aussi le prisme à utiliser dans nos rapports avec toutes les créatures et le cosmos entier. Dans la joie, la simplicité et la miséricorde. Amen.
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