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Accueillir le Dieu des petites choses

LECTURES BIBLIQUES : Michée 5, 1-4 ; Luc 1, 39-45

J’ai pensé, un peu trop tard, qu’il aurait été bon de proposer à une femme de préparer et de prononcer cette prédication. Qui mieux qu’une femme peut parler avec justesse de grossesse et d’enfant qui bouge dans son ventre? Qui peut mieux saisir tout ce que cette expérience signifie et à quel point elle peut être marquante, voire même bouleverser une vie? Je n’ai pas le talent de Michel Tremblay pour trouver les mots et les images les plus justes pour évoquer ce féminin vécu de manière vraie et sensible.

Le récit de la visite de Marie à Élisabeth est propre à l’évangéliste Luc. Des quatre évangiles, c’est le sien qui est le plus sensible à la condition féminine. C’est Luc qui met le plus de l’avant des personnages féminins et ce, dès son premier chapitre où l’on rencontre le récit d’aujourd’hui. Le but de Luc, dans ses deux premiers chapitres, est de mettre habilement en scène non pas la rupture entre l’Ancien et le Nouveau Testament, mais la transition de l’un à l’autre. Ainsi, c’est dans le cadre solennel et magnifique du temple de Jérusalem, haut-lieu de la foi juive, qu’est situé ce qui concerne Zacharie et Élisabeth, alors que ce qui concerne Marie a pour cadre deux maisons, l’une à Nazareth en Galilée, et l’autre où elle entre, située dans le territoire de Juda. C’est sur le sol universel du quotidien et du familier que se dévoile la venue de la Bonne Nouvelle, tout comme, plus loin, ce sera dans le cadre infiniment modeste d’un édicule qui abrite une mangeoire pour les animaux.

Élisabeth, cette femme que Luc décrit comme« avancée en âge » (1,7), incarne pour, ainsi dire, l’Ancien Testament, le Vieux Testament comme on disait encore aux 17e et 18e siècles. Face à la vielle femme, une « jeune fille » (1,27), porteuse de la nouveauté de Dieu. Deux femmes, l’une qui se cache, sans doute gênée de sa grossesse tardive (1,24), l’autre qui, au contraire, sort de sa maison et de son village et se met en route. L’une m’apparaît soumise, comme son mari, aux contraintes de la loi et des traditions, l’autre me semble vivre sous le régime de l’Esprit et de la liberté.

Mais ce qui me semble le plus parlant en lisant ce texte et en le méditant, c’est combien on pourrait lui attribuer le titre que Mathieu Bélisle a donné à un de ses lumineux essais : Bienvenue au pays de la vie ordinaire. Le cadre domestique est ici le lieu de l’Évangile, et nous comprenons que c’est aussi le lieu de notre existence humaine et spirituelle. C’est cette révélation que, tout au long de sa vie et dans tout son enseignement, Jésus va instaurer. Il va refuser ou prendre le contre-pied de l’extraordinaire qui nous fascine. De l’exceptionnel et du spectaculaire qui nous impressionne.

Nous le savons : depuis la scène initiale des tentations, où Jésus refuse d’emprunter le chemin de la puissance, jusqu’à celle de sa mort au milieu de deux bandits, la grâce, le salut et la joie naîtront dans la valorisation du quotidien. Il question de se faire petit si on veut être grand. De choisir la dernière place. De donner un simple verre d’eau à quelqu’un qui a soif. Jésus va valoriser le geste spontané d’une femme qui verse un parfum précieux ou tirera de l’anonymat la pauvre veuve dont l’offrande modeste est plus importante que les largesses de ceux qui donnent de leur superflu. Pour Jésus, le salut arrive quand quelqu’un accepte d’interrompre et de retarder son voyage pour s’occuper d’un blessé qui se trouve sur son chemin. Et lorsque des gestes de puissance s’opèrent quand la parole de Jésus rencontre la foi de quelqu’un, il enjoint les bénéficiaires de n’en parler à personne, et prend la fuite quand il comprend que la foule veut le faire roi. Alors que l’Ancien Testament célébrait le Très-Haut, le Nouveau nous invite à adorer celui que Christian Bobin a appelé « le Très-Bas ».

À quoi pourrais-je comparer Noël? À l’histoire d’un groupe de personnes enthousiastes, tout excitées à la perspective de la venue prochaine d’un important personnage. Elles ont fait le grand ménage du salon, ont mis leurs plus beaux vêtements, décoré la porte de la maison, réservé les services d’un photographe, pensé à déboucher le champagne. Mais voilà que le personnage attendu est entré par la porte d’en arrière, où il a trouvé la cuisinière et la bonne, leur tablier blanchi par la farine. Il a félicité la cuisinière pour la bonne odeur de ce qui cuisait au four et, s’étant assis à table, et il a partagé un Coke avec la bonne. Pas étonnant que le découvrant là où ils ne l’attendaient pas mais où il avait choisi de venir, ils aient, choqués, cherché à l’expulser.

Toute fête implique bien sûr un éloignement de la vie ordinaire. Pensons aux vêtements qu’on porte, à la qualité et la quantité de ce que l’on mange et de ce que l’on boit, ou aux dépenses que l’on engage pour offrir des cadeaux. Noël n’y échappe pas. Il ne faudrait pas que cela nous éloigne du mystère qui se joue dans la solidarité et la joie toutes simples de deux femmes « ben ordinaires » dirait Darla, deux femmes qui ont en commun de vivre l’ordinaire des femmes. Méfions-nous du piège spirituel que peuvent devenir pour nous l’apparition d’un astre lumineux et éclatant dans le ciel, le chœur d’êtres célestes aux grandes ailes, la fascination devant l’opulence des vêtements des mages dont on a voulu faire des rois, l’admiration des précieux présents qu’ils apportent. Restons plutôt attentifs et attentives à la précarité de la crèche, l’inconfort de la paille, l’odeur du bœuf et de l’âne.

Alors, que Noël soit l’occasion d’inviter ou d’aller visiter une personne isolée tout comme nous nous réunissons en famille, ou du moins de lui téléphoner ou de lui envoyer un message chaleureux. Que notre Noël soit plein de petites attentions et de sourires gratuits. Ne laissons pas le côté exceptionnel de nos célébrations occulter la vérité de ce qui est le plus humble afin de ne pas passer à côté du Dieu des petites choses qui nous visite, nous aussi, au sein… de la vie ordinaire.

Photo : Timodela (Wikicommons)

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