Cet extrait de l’évangile de Luc est en fait la deuxième partie du récit de la traversée du lac de Tibériade1, de sa rive ouest vers la rive orientale située en terre dite païenne, infidèle, idolâtre aux yeux des juifs. Pourquoi Jésus décide-t-il un jour de passer sur l’autre rive du lac2, une excursion de 13km dans une barque à voile et, on l’espère, dotées de rames? Après avoir fait route à travers villes et villages, proclamant et annonçant la bonne nouvelle du Règne de Dieu3 peut-être avait-il besoin de changer d’air, d’un congé bien mérité, de voir du pays, autre chose. Plusieurs heures de navigation sur un immense lac qualifié de mer de Galilée est un dépaysement assuré. Alors que l’été en est à ses premières heures, et qu’on se surprend à avoir hâte aux vacances, on peut s’imaginer avec envie la scène. Cette première section du récit nous ne l’avons pas entendu ce matin. On y décrit Jésus tellement détendu et relax que pendant qu’ils naviguaient Jésus s’endormit4. Mais là ça se gâte, le vent se lève et la barque est en danger. Les disciples paniqués le réveillèrent… Jésus menaça le vent et les vagues qui s’apaisèrent et le calme se fit.5 Ce qui semblait une partie de plaisir se transforme en un moment de terreur, une tempête qui brasse non seulement les corps mais aussi les cœurs. On devrait s’y attendre, en compagnie de Jésus même les situations les plus ordinaires ont une portée extraordinaire, lui qui commande même aux vents et aux flots qui lui obéissent6 On imagine que les disciples devaient être pas mal secoués, saisis de crainte et émerveillés7 par cette traversée fantastique qui n’a plus rien d’une sortie de villégiature, qui les rejoint dans « leur » mer intérieure, au plus intime d’eux-mêmes. Ce tumulte des eaux et des vents incontrôlés qui nous brassent ne nous est pas inconnu non plus n’est-ce pas?
Le texte lu ce matin débute alors qu’ils abordent aux pays des Gergéséniens en face de la Galilée,8 un peu comme si on accostait sur la rive du Vermont après avoir traversé le lac Champlain à partir de Venise-en-Québec. Au moins là, ils ont les pieds bien à terre, plus de « mal de mer » au sens propre ou au sens figuré. Vraiment? Après avoir survécu de justesse aux forces de l’abîme des eaux, symbole des puissances destructrices à l’œuvre dans le monde, Jésus les amène à confronter une autre réalité : celle du mal envahissant qui subjugue l’être humain, le déchire, le blesse, le tiraille, de corps et d’âme. La violence des tempêtes intérieures est aussi terrible et dévastatrice. L’homme hirsute qui vient à leur rencontre est le jouet de ces forces destructrices qui l’habitent; incontrôlable, il tourne contre lui-même cette violence folle. Et en quelque sorte, dans son individualité, il exprime et agit les violences sans nombre qui dressent les humains et les nations les uns contre les autres, délire destructeur, impasse de l’absurdité, douleur sans apaisement, puissances de destruction et de mort par contamination.
Autre époque, autre pays, autre culture, autre religion, même impasse de la condition humaine. En utilisant les images et les conceptions de cette époque préscientifique, – rappelons-nous un temps où on considérait le monde plat étendu sous une coupole céleste parsemée de luminaires et de trous pour faire couler « les eaux d’en haut », – la rencontre de Jésus avec le possédé expose la tragédie qui continue à se vivre dans l’histoire de l’humanité. De tout temps il y a eu des individus plus fragiles, hyper-sensibles, incapables de se conformer aux conventions de la société supposément normale, des gens qui semblent être des paratonnerres, attirer la foudre, incarner et s’enliser dans la dysfonction de nos sociétés, des blessés à vif, accidentés de la vie. Tel l’homme qui vint à la rencontre de Jésus9 ils vivent en exclus, de corps et souvent d’esprit, habitant des déserts physiques comme psychiques sans maison, dans des tombeaux10, en poussant des cris de douleurs, de dépit, maudissant leur existence, appelant la mort. Pensez-y un instant, vous en connaissez n’est-ce pas?
De quoi te mêles-tu, Jésus, Fils du Dieu Très Haut11 rétorque le démon qui veut s’incruster là où il a proliféré à en devenir Légion. La présence de Jésus irradie le salut, met en lumière le mal dans toute sa profondeur et apporte la guérison divine voulue de toute éternité par le Très Haut. Dans notre récit les démons tentent de différer leur retour dans l’abîme par un échange de vitalité avec les porcs selon les notions de l’époque. Jésus leur permet ce qui les conduira néanmoins à leur perte car les porcs vont se noyer dans le lac. Tel est pris qui croyait prendre comme dit le proverbe12.
L’homme autrefois possédé, désormais vêtu et dans son bon sens13 est assis au pied de Jésus attestant qu’il a retrouvé son intégrité par sa présence. Ses concitoyens, alertés par les gardiens du troupeau considérable de porcs englouti dans les eaux, sont saisis de crainte… en entendant de la bouche témoins comment celui qui était démoniaque avait été sauvé.14 Leur réaction est consternante mais tristement n’a rien d’exceptionnelle : toute la population de la région… demanda à Jésus de s’éloigner d’eux, car ils étaient en proie à une grande crainte.15 Que craignent-ils ? Que la guérison de l’homme mette en lumière leur incapacité à en prendre soin adéquatement? Que le prix à payer pour la santé (la perte du troupeau) implique revoir leurs priorités économiques? Un choix de société, la vie ou le profit? Plus ça change plus c’est pareil
Alors, Jésus monta en barque et s’en retourna. Dieu ne force jamais les cœurs ni les consciences. Mais désormais il y a cet homme qui peut enfin retourner dans sa maison, l’intégrité de sa chair et de son esprit, et raconter tout ce que Dieu a fait pour lui. La grâce se transmet comme par diffusion, une « maladie d’amour 16» offerte à tous, la libération de ce qui enchaîne et mortifie l’humanité et la création. Vous en êtes aussi témoin : Jésus est là, d’une rive à l’autre de notre existence. La puissance divine est à l’œuvre, beau temps mauvais temps : nous l’avons vécu, nous aussi nous proclamons ce que Jésus a fait pour nous. Voilà la mission, au cœur de notre vie quotidienne. Nous sommes bénis pour être bénédiction pour notre prochain dans la traversée de la mer de notre vie. Avec Jésus, bon été, où que vous conduira le chemin des vacances.
LECTURES BIBLIQUES
1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Lac_de_Tib%C3%A9riade
2 Luc 8,22b
3 Luc 8,1
4 Luc 8,23a
5 Luc 8,24
6 Luc 9,25a
7 Luc 8,25b
8 Luc 8,26
9 Luc 8,27
10 Luc 8,27
11 Luc 8,28
13 Luc 8,35
14 Luc 8,36
15 Luc 8,37
16 Pour paraphraser la chanson bien connue de Michel Sardou… un tube de l’été 1973 https://youtu.be/6YJ_V5V9Zek?feature=shared
Un commentaire