Tension. Attention!

Peut-être avez-vous reconnu ce titre de ma prédication. Je l’emprunte à l’auteur compositeur interprète manitobain Daniel Lavoie, car mon propos soulignera au passage la tension (en deux mots) présente dans la scène de l’Évangile que nous venons de lire, ainsi que l’attention (l’ – en un mot) que ce passage devrait susciter en nous.

Je me propose aujourd’hui de commenter ces versets de Luc. Chemin faisant, je soulignerai deux choses au sujet de Jésus: sa profonde humanité et son amour de la vérité.

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« C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé !», dit Jésus. Mais de quel feu parle-t-il? Selon le commentaire de la TOB, l’évangéliste « Luc pense probablement au baptême d’Esprit et de feu inauguré à la Pentecôte »i, c’est-à-dire à la naissance de l’Église. Antoine Nouis ajoute : c’est ce que Jean- Baptiste « prophétisait lorsqu’il disait: «Moi, je vous baptise d’eau, mais il vient, celui qui est plus puissant que moi… lui vous baptisera dans l’Esprit saint et le feu».ii

Nous sommes aujourd’hui en présence d’un Jésus profondément humain et très vulnérable. Il entrevoit ce qui l’attend, tout comme des Pharisiens, d’ailleurs, qui le mettent en garde au chapitre suivant: «Va-t-en, pars d’ici, car Hérode veut te faire mourir.» (Lc 13, 32). Mais, Jésus ne vit pas dans l’angoisse – cela viendra plus tard, au mont des Oliviers. Il a plutôt hâte que tout soit accompli. Ainsi, ce même événement que Jésus anticipe provoque ici la hâte, et plus tard l’angoisse. N’éprouvons-nous pas tantôt la hâte, tantôt l’angoisse, dans notre désir de faire la volonté de Dieu? Ne sentons-nous pas une tension toute humaine dans ce que Jésus déclare : «C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé!».

Mais pour que nous recevions le baptême dans l’Esprit, il fallait d’abord que Jésus reçoive le sien. « C’est un baptême que j’ai à recevoir, dit-il, et comme cela me pèse jusqu’à ce qu’il soit accompli! ». Ce baptême dont Jésus parle, c’est la crucifixion qui l’attend à Jérusalem, comme en fait foi sa plainte au chapitre suivant : «Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés.» (Lc 13, 34).

Ce lien entre crucifixion et baptême a été abondamment développé par l’apôtre Paul qui écrira en Ro 6,6 « Notre vieil homme a été crucifié (c’est moi qui souligne) avec lui ». Et, deux versets plus haut : « Par le baptême (c’est moi qui souligne) en sa mort, nous avons donc été ensevelis avec lui, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous menions nous aussi une vie nouvelle ». Cette annonce d’une vie nouvelle, d’une nouvelle naissance dans l’Esprit accordée à quiconque croit que Jésus est le Fils de Dieu, c’est le cœur de l’Évangile.

Revenons à notre lecture de Luc: «Pensez-vous que ce soit la paix que je suis venu mettre sur la terre?» Ici, Jésus réagit aux promesses doucereuses des faux prophètes qui promettent la paix en bercant leurs auditoires d’illusions. Par ces paroles, Jésus manifeste son amour de la vérité. Réécoutons le prophète Jérémie : «  J’entends ce que disent les prophètes qui prophétisent faussement en mon nom en disant : «J’ai eu un songe ! J’ai eu un songe !» Jusques à quand ! Y a-t-il quelque chose dans la tête de ces prophètes qui prophétisent faussement ? Ce ne sont que prophètes aux trouvailles fantaisistes! » (Jér 23, 25-26).

Et les trouvailles fantaisistes ne manquent par par les temps qui courrent! C’est ainsi qu’en réaction au fameux sermon où, au lendemain de l’investiture de Trump, l’êveque épiscopalienne Mariann Budde demandait « d’avoir pitié des gens de notre pays qui ont peur en ce moment », des théologiens et des philosophes de la droite radicale ont tordu le sens des mots empathie et altruismeiii. Selon eux, lorsqu’elle est exercée à l’égard « des plus démunis, des minorités et des marginaux, (des) déshérités de la planète », l’empathie devient un péché toxique. Pareil « lorsqu’il est question d’avortement, d’homosexualité ou d’identité de genre! »iv.  Rappelopns-nous comment le pape François, la veille de son décès, a rappelé à l’ordre le vice-président américain J. D. Vance, qui avait affirmé que la charité devait s’adresser en priorité aux siensv.

Ceci m’amène à poser une question qui habitait Olympe de Gouges à l’époque de la Révolution française: « L’homme est-il assez généreux pour être juste? »vi.

Voilà pour la tension (en deux mots).

Pause musicale

Passons à l’attention (en un mot) en poursuivant notre lecture de Luc. En fait, l’attention que nous devons porter aux autres et à notre propre conduite se nomme dans les Évangiles « vigilance ».

« Pensez-vous que ce soit la paix que je suis venu mettre sur la terre ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division. Car désormais, s’il y a cinq personnes dans une maison, elles seront divisées : trois contre deux et deux contre trois… ». Nous n’y prêtons peut-être pas assez attention, mais la foi que nous partageons est parfois cause de divisions dans des familles d’ici et d’ailleurs.

Vous le savez peut-être car c’est un peu mon dada, je suis préoccupé par le respect des droits, et en particulier de la situation de celles et ceux qui sont persécutés pour leur foi, peu importe leur religion. Cette préoccupation, plusieurs organismes la partagent. Au Québec, il y a l’oeuvre pontificale Aide à l’Église en détresse et l’organisation évangélique Portes ouvertes , il en existe plusieurs autres dans le monde anglophone. Et c’est sans compter les organismes au mandat plus large comme l’ACAT ou Amnistie Internationale. Je le répète, les persécutés méritent notre attention et notre soutien dans la prière. En ce XXIième siècle, personne ne devrait être persécuté car, si ces situations allaient de soi à l’époque de l’Empire romain ou du Moyen Âge, la liberté de conscience et de religion est aujourd’hui protégée par la Déclaration universelle des droits de l’homme et par plusieurs autres instruments du droit international.

Et pourtant… Le temps me manque pour parler de ce pasteur colombien tué en janvier dernier pour avoir refusé que son église serve de dépôt d’armes pour un cartel de la drogue; de cet autre, libéré le même mois d’une prison cubaine après 14 ans; ou de ces autres disparus depuis plus de 20 ans en Érythée. Et que dire du sort des musulmans Ouighours en Chine ou Rohingyas au Myanmar. Vous savez bien que la liste pourrait s’allonger…

***

Poursuivons notre lecture de Saint-Luc, tout en soulignant un changement d’auditoire. Dans les versets qui nous ont occupés jusqu’ici, Jésus s’adressait à ses disciples. Maintenant, il se tourne vers les foules et leur dit :« Quand vous voyez un nuage se lever au couchant, vous dites aussitôt : “La pluie vient”, et c’est ce qui arrive. Et quand vous voyez souffler le vent du midi, vous dites : “Il va faire une chaleur accablante”, et cela arrive. Esprits pervertis, vous savez reconnaître l’aspect de la terre et du ciel, et le temps présent, comment ne savez-vous pas le reconnaître ? ».

Jésus s’adresse ici à une foule d’origine agricole, qui sait donc reconnaître les signes de la météo. Maintenant, ce que Jésus propose, et je dirais même exige, c’est de changer de registre. Il invite à passer du court terme au long terme. Comme le suggère Antoine Nouis, non plus « quel temps fera-t-il demain? », mais « dans quel temps sommes-nous? ». « Quel est le sens du temps que nous vivons et à quelle conversion nous appelle-t-il? ». 

Pas de doute qu’en notre temps, de multiples crises sévissent : crise climatique ou identitaire, crise de l’itinérance et des opioïdes, tensions en plusieurs points du globe. En cette époque singulière, nous devons, comme nos sœurs et nos frères de tout temps, vivre en état de vigilance. C’est ce que nous rappelait Denis dimanche dernier en évoquant paraboles qui précèdent immédiatement l’Évangile de ce jour. Il nous faut rester en tenue de travail et de garder notre lampe allumée,(v. 35); être le serviteur qui attend son maître à son retour des noces (v. 36-38); veiller pour ne pas être victime d’un vol (v. 39-40). Enfin, être l’intendant fidèle dans la gestion de la communauté de son maître (v 41-48). Le commentaire de la TOB suggère que cette dernière injonction s’adresse plus particulièrement aux responsables des communautésvii.

Pour le dire dans nos mots, la vigilance évangélique nous appelle à être une Église sans cesse en réforme. Je terminerai avec cette citation de Timothy et Kathy Keller, deux théologiens presbytériens qui forment un couple : « Prenons le temps d’étudier les périodes de réveils et de réforme du passé : l’histoire de l’Église est à la fois source d’accusations et d’encouragements… Les réveils impliquent toujours une « vision » renouvelée de l’Évangile, tant sur le plan de la compréhension théologique que de l’expérimentation personnelle »viii .

Que, par la grâce du Seigneur, nous puissions vivre en cet état d’amour de la vérité et de vigilance.

Amen

LECTURES BIBLIQUES

Jérémie 23, 23-29
Luc 12, 49-56

Photo: Pixabay

iTOB, version intégrale, Luc 12, 49, note o

iiCommentaire d’Antoine Nouis sur le v. 49

ivRéjean Bergeron, Ces croyants qui nous mettent en garde contre l’empathie! Le Devoir, 1er août 2025. https://www.ledevoir.com/opinion/idees/906052/idees-ces-croyants-nous-mettent-garde-contre-empathie

vhttps://www.la-croix.com/a-vif/j-d-vance-contre-le-pape-francois-l-ordre-de-lamour-justifie-t-il-lexpulsion-des-etrangers-20250217

vi Olympe de Gouges. Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et autres textes, Librio, 2021, p. 40

viiTOB, version intégrale, Luc 12, 41, note h

viii Timothy et Kathy Keller, Les psaumes de Jésus, chaque jour de l’année, Ed. Ourania, p. 222

 

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