Une communauté chrétienne protestante et inclusive

Être chrétien, au temps de la laïcité

LECTURES BIBLIQUES : Psaume 137,1-4Actes 17,16-18.22-23 ; Jean 1,17-18

Ce qui reste de chrétiennes et chrétiens encore pratiquants dans notre coin du monde me fait penser à la situation évoquée par les quelques versets du psaume 137 dont nous venons d’entendre la lecture. Celui-ci nous parle d’Israélites qui au 6e siècle avant notre ère, n’avaient plus le cœur à chanter des « airs joyeux… du Seigneur » (Ps 137, 3-4), parce qu’ils étaient exilés dans Babylone, une société trop différente de celle dans laquelle ils avaient grandi et avaient pratiqué leur religion. Au 19e siècle, dans son opéra Nabucco, Giuseppe Verdi a mis la situation en musique. Les vers du livret du poète italien Temistocle Solera, chantés par un chœur, sont inspirés du psaume 137. C’était l’air d’opéra préféré de mes parents. En entendant les premières notes, peut-être sentirez-vous monter en vous la nostalgie d’un temps révolu. (…) « Va’, pensiero…, dit le livret inspiré du psaume, Va, pensée…Ranime dans nos cœurs les souvenirs, Parle-nous du temps passé! ».

Chrétiens et chrétiennes d’un certain âge, nous pouvons parfois, nous aussi, nous sentir en exil, mais sur place, dans notre propre société, nostalgiques d’un temps révolu quand, bien sûr, nous n’en retenons que les beaux côtés! Nous pressentons bien qu’il n’y aura pas de retour d’exil sous la forme d’un retour à la chrétienté d’autrefois. Elle est presque déjà oubliée, sinon dénigrée par un grand nombre, dont beaucoup dans la génération qui ne l’a même pas connue. Nous, chrétiens et chrétiennes d’ici, avons vécu, pour le meilleur et pour le pire, il faut bien le dire, notre enfance et notre jeunesse au temps d’une chrétienté institutionnelle dominant la société, main dans la main avec le pouvoir politique. En contexte de quasi-unanimité catholique, faut-il rappeler qu’il n’était pas facile d’être à la fois francophone et protestant!

Ici comme en France à une autre époque, nous pouvons saluer comme un progrès la laïcité, au sens de liberté de croire ou de ne pas croire, assortie d’une neutralité de l’État à l’égard des religions. Ce qui, par ailleurs, a plutôt l’allure d’une régression et qui peut nous faire nous sentir en exil, c’est une certaine idéologie laïciste latente qui marginalise, sinon carrément ignore, l’expression religieuse, ou plus largement spirituelle, dans l’espace public. Pourtant, dans un sondage canadien de 2015, seulement 27% des répondants affirmaient n’être ni religieux ni spirituels1. Quelles informations ressortiraient aujourd’hui d’une plus large couverture journalistique compétente des questions de religion, de spiritualité, et plus globalement de quête de sens, tant dans les médias traditionnels que dans les médias sociaux? Nous ne le savons pas. Nous avons l’impression d’être emportés dans le courant d’une diversité superficielle où nous avons beau lever la main, nous n’arrivons plus à faire entendre notre voix.

Nous ne sommes pas les seuls, semble-t-il. Dans une chronique de l’hebdomadaire protestant français Réforme, après avoir rappelé la période de persécution qui a sévi du 16e au 18e siècle, une enseignante écrit : « Actuellement, en France du moins, la situation des chrétiens n’est pas comparable à celle de cette époque. La liberté de culte y est garantie par la loi, même si nous sentons l’étau se resserrer de manière plus ou moins subtile. Dans la sphère publique, on essaie de restreindre de plus en plus toute manifestation et expression de la foi chrétienne. Jusqu’où irons-nous dans ce processus? Des croix érigées il y a des décennies dérangent maintenant; les bijoux religieux, même non ostentatoires, ne sont plus les bienvenus autour du cou de nos enfants scolarisés. Nous ne craignons pas la prison, certes, mais le verbe « résister » garde tout son sens dans notre société largement déchristianisée, marquée par le consumérisme, la perte de repères et l’indifférence, voire les railleries, de nos concitoyens et de certains médias à l’évocation de la foi chrétienne. Résister, c’est oser affirmer notre foi dans ce monde sécularisé.2 »

Dans ce genre de contexte que nous partageons maintenant avec d’autres traditions religieuses, nous avons l’impression de vivre quelque chose de nouveau en christianisme. En réalité, c’est le genre d’environnement qui a fait partie des débuts du christianisme jusqu’à ce qu’il devienne religion officielle par décision d’un empereur romain. On n’en était pas encore là quand l’apôtre Paul s’adressait aux notables athéniens, comme nous le raconte le passage des Actes des apôtres dont nous venons d’entendre la lecture. Paul communiquait courageusement son témoignage sur l’application non-virtuelle de l’époque, tout simplement la place publique consacrée aux débats sociaux, l’Aéropage, « là où, précise en note la TOB, les magistrats, sans intenter de procès, veulent s’informer de cette doctrine inconnue, et de ses conséquences. » Peut-être l’audace de Paul nous manque-t-elle aujourd’hui!

Y a-t-il lieu de nous affliger, de nous replier sur nous-mêmes, de renoncer à chanter des « airs joyeux…du Seigneur », comme les exilés du psaume 137? Et si le déclin de cette chrétienté, qui s’imposait de manière autoritaire et dans laquelle fonctionnait sans gêne la majorité des Églises, était l’occasion qui leur était offerte de se remettre à l’heure de leur fondation par Jésus! En prenant acte du contexte, un bibliste blogueur de chez nous n’a pas manqué d’écrire : « Je suis positif devant ce qui se passe dans l’Église d’Occident : une perte de pouvoir, de contrôle. Une Église qui se fait humilier et dépouiller, c’est un appel à la conversion à l’Évangile.3 »

Pour nous, chrétiens et chrétiennes, comme une de nos lectures de ce matin nous le rappelle, « la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. » (Jn 1, 17) Dans un contexte comme le nôtre, sans n’être plus en situation de contrôle sur la société, les Églises ont toute liberté d’être tout simplement des associations de personnes voulant se ressourcer ensemble au contact de l’enseignement de Jésus, pour mettre en œuvre, le mieux possible, pour notre temps, ce qu’il appelle le Règne ou le Royaume. C’est au sens positif du terme l’utopie sociale de Jésus, sa vision d’une société (Règne/Royaume) en mobilisation permanente contre toute forme d’oppression et de souffrance ici et maintenant, mais avec, en même temps, une ouverture sur un au-delà (de Dieu, des cieux) dans lequel est anticipé un accomplissement en plénitude de ce qui ne peut que rester en gestation à l’échelle de la finitude humaine.

L’utopie de Jésus, celle que ses disciples sont appelés à poursuivre avec lui, est, comme l’ensemble de son enseignement, un chemin, une voie qui, quand on y marche, confère une « bénédiction », rend heureux d’un bonheur qui ouvre sur un au-delà du moment présent. La joie des libérations partielles ici et maintenant se conforte et se dilate dans la conscience de leur insertion dans une séquence ouverte sur la libération en plénitude. C’est ainsi que chrétiens et chrétiennes, en exil comme en notre condition normale, nous pouvons malgré tout chanter ces « airs joyeux … du Seigneur » dont parle le psaume 137.

Amen.

1 Angus Reid Institute, Religion and faith in Canada today : strong belief, ambivalence and rejection define our views, Toronto, ARI, 26 mars 2015.

2 Fabienne Rubach, enseignante, Résister, œildereforme@reforme.net , le 31 octobre 2025.

3Claude Lacaille sur http://sentiersdefoi.info/je-suis-un-homme-de-frontières-un-peu-fou/ , consulté le 10 avril 2014.

Photo : DeepAI

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